- Dossier
Par Alain Voisot
Connus seulement par quelques amateurs, la Wallonie cache de nombreux trésors qui permettent un véritable voyage dans le temps et dans l’espace de notre région.
Ce voyage laisse entrevoir des siècles confinés dans l’imaginaire. Un voyage vers une époque où la nature avait encore des odeurs, des lumières contrastées et puissantes, où l’air était vif et sain, les rivières et les sources claires, limpides. La vie était courte, violente et intense… Ce temps était celui du Moyen- Age qui nous fascine encore. Chaque muraille, chaque objet de cette époque sont une relique qui nous revient de loin. Ces secrets, enfouis en terre wallonne, sont le fruit d’une science acquise durant plusieurs siècles de travail, de créativité intuitive, d’expériences, d’essais et de trouvailles transmises par l’apprentissage auprès des maîtres.
Comment est-ce possible ?
D’abord, il faut du feu. Le combustible est là, il dévale des talus, remonte des puits. Il faut de la force. L’eau du Hoyoux entraîne les roues des forges. On y aplatit, roule, tord et martèle. Platinerie, fenderie, tréfileries et clouteries bordent les affluents de la Meuse. Les postainiers hutois et les artisans de la dinanderie sont les derniers d’une grande famille d’artisans disparus. Vers la fin du XIIe siècle, la houille est exploitée à ciel ouvert. Avec le temps, la vallée de la Meuse voit naître des puits et des galeries. Des gisements de zinc sont découverts et l’on expérimente les alliages avec le cuivre, ce qui donnera le laiton. Des charrois et des barges de minerai convergent vers la vallée mosane venant de Rammelsberg, de Kutna Hora en Bohême, de Cornouai l les… On décharge les cargaisons à Liège, à Huy, à Flémalle pour servir les ateliers de forges et d’orfèvres.
Fondeurs de cloches et de canons
Durant des siècles, la Wallonie sonne la charge et le tocsin, sublime les reliques et aiguise des baïonnettes, forge des socles de charrue et calibre des canons. Des tôles pour l’automobile à la cuve des fonts baptismaux de Renier de Huy, il y a un trait continu de plusieurs siècles qui témoigne et consacre cette maîtrise de tous les arts de la métallurgie. L’art de la forge porte celui de l’orfèvre. L’artisan devient artiste et dessine et fabrique tous les artifices religieux. Apprentis et maîtres sont autant de visages évanouis et de mains disparus qui, avec force et gestes appliqués, durant d’interminables heures, ont travaillé la matière et laissé derrière eux des phylactères, des staurothèques, des pignons lipsanothèques et autres reliquaires anthropomorphiques… Des ateliers d’orfèvres mosans comme ceux situés sur la rue Lulay-des-fèbvres à Liège, il ne reste que des fragments. Pillages, vols, destructions, guerres, massacres… la sauvagerie de la bête humaine laisse derrière elle des traces de sang et emporte les métaux précieux pour en faire des butins de guerre.
Deux siècles de gloire
Les rescapés des croisades reviennent un à un, tels des fantômes. Certains survivent en revendant des reliques et des pierres précieuses pillées en Orient. La plupart négocient au prix fort des « reliques sauvées ». Cumulés, les fragments de la Sainte Croix permettraient de faire toutes les charpentes des cathédrales d’Occident, les Saints-Suaires flottent au vent et les ossements des saints apôtres deviennent des ossuaires… Peu importe ! C’est le temps des cathédrales, il faut attirer les pèlerins, faire pénitence, car les hérétiques rôdent et il faut tenir les masses sous contrôle. Les chantiers des cathédrales ont déjà commencé : Notre- Dame de Chartres en 1134, Notre-Dame de Paris en 1163, Notre-Dame de Strasbourg en 1176, Cathédrale Notre- Dame-et-Saint-Lambert de Liège en 1185… Les Compagnons du Devoir ne chôment pas.
Quelques siècles plus tard, Victor Hugo dépeint le décor lyrique de Flémalle envahi par l’industrie naissante dès 1838. Derrière la fulgurance de ce tableau romantique, il y a des ouvriers, des enfants au travail et un savoir-faire métallurgiste hérité de siècles de labeur quotidien. La vallée de la Meuse est alors une immense constellation d’ateliers qui se sont fondus en une immense usine. Aujourd’hui, les dragons de feu allongés sur les rives de la Meuse s’endorment un à un, laissant derrière eux l’écho oublié des forges et des ateliers.