- Dossier
Par Christian Sonon
« S’il te plaît, dessine-moi la nature ! »
La nature est présente sous toutes ses formes au domaine de Chevetogne. A la fois sauvage et cultivée, source de détente et de défoulement, elle nous pousse à nous interroger sur les liens ancestraux qui nous unissent à elle.
© FTPN Aérialmedia
Des jardins extraordinaires, des plaines de jeux thématiques, des étangs, des bois, des sentiers de promenade aménagés, des terrains de sport, une ferme pédagogique, des musées… Le domaine de Chevetogne est un lieu « nature » par excellence. Elle s’y décline sous ses multiples aspects. Elle est une invitation à la balade, la détente, le dépaysement, le défoulement, la rencontre, la connaissance… Pourtant, ce jardin d’Eden ne s’est pas fait en un jour. Surtout, il ne s’est pas fait n’importe comment. Quand Bruno Delvaux est désigné à la direction du Domaine Provincial de Chevetogne, en 1995, il reçoit pour mission de « penser un nouveau projet » pour ce vaste ensemble paysager de près de 600 hectares. Un projet qui serait davantage en adéquation avec ce que le public et l’émergence d’une nouvelle conscience environnementale appellent de leurs vœux : un nécessaire retour à la nature.
Le défi est de taille car depuis le début de l’aménagement du site dans les années 70, alors qu’il vient de passer du domaine privé au domaine public, les noces du béton et du marketing, célébrées sans la bénédiction d’un plan directeur, ont été consommées plutôt deux fois qu’une, et de cette union sont nés une ribambelle de voiries, des plaines de jeux, une piscine titanesque, une piste de karting, une immense aire de caravaning, une esplanade poussiéreuse… le tout arrosé chaque jour de coca-cola, de frites et d’hamburgers. A une autre époque, ce directeur aurait sauvé tout ce qui pouvait l’être, se serait embarqué dans une arche et aurait vogué vers des cieux plus cléments !
Quand Bruno Delvaux est désigné à la direction du Domaine Provincial de Chevetogne, en 1995, il reçoit pour mission de « penser un nouveau projet » pour ce vaste ensemble paysager de près de 600 hectares.
© Sophie Vuidar
Une maison de la culture en plein air
Mais Bruno Belvaux a toujours aimé relever les défis. Si les responsables provinciaux l’ont choisi lui, l’auteur, le metteur en scène, l’homme de théâtre – il est le frère aîné des cinéastes Rémy et Lucas Belvaux –, c’est qu’ils espèrent le voir débarquer avec un projet plus « culturel ». A cette époque, en effet, le domaine ne compte ni jardin, ni parc d’attraction, ni parc animalier. Faire des jardins des Maisons de la Culture du XXIe siècle ? L’idée du journaliste Jean-François Kahn l’emballe.
Pour le guider à travers ces eaux inconnues, le Namurois se plonge dans la lecture et s’inspire des nombreux parcs étrangers qu’il entreprend de visiter. Surtout, il s’entoure de gens d’expérience et de bons conseils : Marie-Françoise Degembe, une historienne nourrie des cours de l’Ecole du Paysage de Versailles, et Benoît Fondu, un jeune architecte paysagiste qui s’est faire remarquer par la restauration des jardins de Seneffe. Le trio tombe d’accord : il faut restaurer la primauté des milieux naturels et aménager des espaces réservés à une nature jardinée, afin de permettre l’accueil d’un large public qui ne dispose pas chez lui d’un accès à la nature.
© DPC
Sur les pas de Martine
« Jadis, l’homme a entrepris d’assainir les zones humides et de bétonner à tors et à travers ; aujourd’hui, c’est le contraire, il s’efforce de reconstruire les milieux naturels, de faire renaître des sanctuaires de la biodiversité », explique le directeur qui, dès son arrivée à Chevetogne, a entrepris de débétonner une bonne partie du parc afin de faire revenir la nature au galop, au pied des visiteurs. Ensuite, il a laissé l’initiative à Benoît Fondu qui, s’inspirant des planches de Martine au Parc, de Marcel Marlier, créa et architectura la quasi totalité de la quinzaine de jardins qui font aujourd’hui le charme du domaine : le jardin à l’anglaise, la broderie, le woodland garden, la charmille, le potager du désir, le jardin Hervé Bazin, la folie des ronces… Le tout jalonné de plaines de jeux, de petits édifices fantaisistes, de grottes, de ponts et de cascades. Mais aussi, afin de dédier un maximum d’espaces à la rencontre et à la convivialité, de terrasses, de zones de barbecue, de kiosques et – surtout – de magnifiques sentiers accessibles aux personnes à mobilité réduite et jalonnés de bancs. In fine, c’est un sixième de la superficie du domaine qui a ainsi été transformée en jardin culturel et cultivé, en veillant à ce que chaque aménagement s’intègre dans le paysage et se distingue en proposant une forme singulière. « Chevetogne est devenu une sorte de grand jardin hétérotopique, commente Bruno Belvaux. Il propose en un lieu unique mille paysages venus d’ailleurs et recomposées afin de générer des atmosphères, des ambiances et des musiques différentes ».
La quinzaine de jardins font aujourd’hui le charme du domaine : le jardin à l’anglaise, la broderie, le woodland garden, la charmille, le potager du désir, le jardin Hervé Bazin, la folie des ronces…
Le Pont Palladien
« Une ineptie environnementale ! » Parmi les couches de béton combattues par Bruno Belvaux, celles ayant servi à « canaliser » l’eau du deuxième étang qui se déverse vers l’étang du Bout du Monde occupaient une place de choix. Aujourd’hui, cette construction malheureuse a été cassée et l’eau a pu reprendre son parcours naturel en traversant une série de petites cascades paysagères. Et à la place de l’ancien pont jugé trop menu par rapport à l’ampleur de la vallée, le directeur opta pour un pont palladien – Andréa Palladio est un architecte de la renaissance italienne qui réhabilita le modèle de construction cher à l’antiquité romaine – avec des hautes colonnes et des frontons triangulaires. Afin de permettre aux promeneurs de s’accorder un moment de détente en admirant la cascade, ce pont sera couvert et pourvu de bancs. Et un centre d’interprétation de… la pluie y sera installé.
Le musée de la nature extraordinaire
© DPC
Principal bâtiment de l’esplanade, lieu central et emblématique du domaine, le NEM (Nature Extraordinary Museum) abrite le centre d’interprétation du parc, mi cabinet de curiosités, mi bibliothèque, dont la fonction est de rappeler les rapports philosophiques que l’homme entretient avec la nature. « J’ai imaginé et scénographié ce musée voici une douzaine d’années quand je me suis aperçu que les visiteurs ne connaissaient pas les réalités sociologiques du parc, explique Bruno Belvaux. Beaucoup ne voyaient dans le domaine qu’un vaste arboretum où étaient conservées différentes espèces. J’ai voulu expliquer ce l’on y voyait afin de susciter une réflexion sur la nature et la culture. »
Mais, d’abord, qu’est-ce que la nature ? Pour le directeur, ce terme est impropre à décrire l’environnement du parc. « A Chevetogne, la nature que l’on admire a été aménagée, « artialisée ». La vraie nature, elle, est sauvage, comme dans la forêt amazonienne. » Et elle fait peur. Comme le montre la première partie du centre d’interprétation, elle abrite le grand méchant loup, le minotaure, des serpents, des sirènes, des sorcières… Peu à peu, l’homme a dominé ses peurs et a entrepris de domestiquer la nature en y créant de magnifiques jardins. De ses lointains voyages, il a ramené des objets rares et étranges issus des règnes animal, végétal et minéral, qui ont contribué à élargir ses connaissances. C’est aussi grâce aux premières explorations que l’on peut admirer aujourd’hui dans le domaine des rhododendrons, des hamamélis et des séquoias. En aménageant les jardins, il a cultivé la notion du beau. Mais qu’est-ce que le beau Un tableau de Fragonard, Les hasards heureux de l’escarpolette, montre que tout dépend du point de vue…
« Ce musée est particulièrement adapté aux enfants, conclut Carine Hubaille, l’une des animatrices du domaine. De nombreux livres ont été disséminés sur le parcours en rapport avec la thématique observée et de petits postes ont été aménagés pour leur permettre de dessiner et de créer leur propre jardin. C’est un lieu de découverte et d’émerveillement ! »
Peu à peu, l’homme a dominé ses peurs et a entrepris de domestiquer la nature en y créant de magnifiques jardins.
Le musée des histoires naturelles
© J-L LALOUX
Ouvert en 2016, le MHiN, le Musée d’Histoire (s) Naturelle (s), est un centre d’interprétation de la littérature jeunesse liée à la nature. Particularité de cette autre merveille, elle a été aménagée dans le château du domaine qui s’est ainsi vu proposer une nouvelle… jeunesse.
« L’objectif des travaux de restauration était de faire du rez-de-chaussée un lieu de réception prestigieux et d’aménager au 1er étage les bureaux de l’équipe pédagogique du parc, explique Carine Hubaille. Quant au MHiN, il a pris place dans les caves et les greniers, lieux d’évasion par excellence. En guise d’accès, les architectes ont eu l’idée de créer une cour rappelant le jardin d’Alice au Pays des Merveilles. Ils ont aussi imaginé un ascenseur extérieur afin de relier les deux parties. »
Le directeur aime le répéter : sa réflexion est née du constat de Rudyard Kipling, l’auteur du Livre de la jungle : « Toutes les histoires de mon enfance commencent par la nature ». La nécropole elfique, la chambre des ombres, le théâtre du héros, les paradis lointains, la galerie des auteurs… Avec l’aide de ses complices Pascal Le Brun (création visuelle) et Olivier Simon (architecte d’intérieur), Bruno Belvaux a imaginé la scénographie de chaque pièce afin de permettre aux enfants de construire leurs propres histoires en lien avec la nature, en s’inspirant d’auteurs tels que Dumas, Verne, Dickens, Tolkien, Andersen… Pour animer ce château des contes qui rappelle les histoires de nos enfances, avec princesses endormies, reines marâtres et placards qu’il est interdit d’ouvrir, le directeur a multiplié les explorations sur les brocantes et dans les salles de vente où il a déniché de véritables objets de collection, tels que la Winchester de Buffalo Bill, une Citroën de la croisière noire, des décors de temple khmer… « Les jeunes, aujourd’hui, sont hypnotisés par les écrans ; c’est pourquoi, j’ai tout axé sur le livre et l’objet. L’audiovisuel, ils l’ont à la maison. »
A la sortie du centre d’interprétation, ce message : « Si tu t’es bien amusé en faisant du théâtre ou en construisant une cabane, nous nous sommes également plu à créer ces serpents avec lesquels tu as fait semblant de te battre, ces aquariums dans lesquels tu as plongé la tête… Continue le voyage… Deviens cosmonaute, chercheur d’or, pirate, scaphandrier, aventurier, cinéaste ou pilote de course, acteur qui embrasse les princesses ! »
© DPC
Domaine de Chevetogne
Rue des Pîrchamps 1
B-5590 Ciney
+32 (0) 83 68 72 11