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Par Mélanie Noiret
Vincent Van Gogh et Kirk Douglas… deux « stars » qui ont marqué par leur passage de manière indélébile la mémoire du Borinage. C’est en tous cas là‑bas qu’ils n’ont fait qu’un l’espace d’un tournage.
Quel ne fut pas l’étonnement de la population du Borinage quand, en 1955, débarqua un jour de septembre la dernière chose que l’on attendait dans cette région dédiée aux charbonnages : toute l’équipe d’une grosse production cinématographique américaine ! À sa tête, l’acteur Kirk Douglas et le metteur en scène Vincente Minnelli, deux grosses pointures hollywoodiennes.
La raison de leur présence a pour origine un fait relativement anodin. Distraitement, un ami de Kirk Douglas avait relevé la forte ressemblance entre celui-ci et une autre célébrité, Vincent Van Gogh. Troublé, l’acteur, ayant constaté la véracité de la chose et après quelques recherches, se prit de passion pour le sujet jusqu’à acheter lui-même les droits d’une des biographies du peintre afin d’en tirer un film. Kirk Douglas fonde alors tout exprès une boîte de production et contacte les cinq Majors qui régentaient à l’époque l’ensemble du cinéma U.S. C’est la MGM, la plus grosse d’entre elles, qui décide d’ouvrir son imposant portefeuille au projet de Kirk Douglas. Un projet d’une certaine envergure, car le tournage, loin de se passer dans les confins confortables d’un studio, ira jusqu’en Europe, sur les lieux mêmes où vécut Van Gogh.
Loin de se passer dans les confins confortables d’un studio hollywoodien, Lust for Life a été tourné en extérieur en Europe, et donc dans le Borinage, dans les pas de Van Gogh.
À propos de studio justement, la réalisation du film, après quelques investigations, est confiée à un réalisateur, Vincente Minnelli, qui jusqu’ici n’avait jamais oeuvré qu’au sein de milieux fermés. Aucunement réalisateur de terrain ou d’extérieur, ce dernier tient cependant à faire partie de l’aventure. En effet, il effectue un travail sur la couleur et quoi de mieux qu’un film sur un peintre, Van Gogh qui plus est, pour peaufiner ses recherches chromatiques ? Dès lors, tout est prêt pour la grande aventure du tournage de Lust for life (en français : La vie passionnée de Vincent Van Gogh !) Départ pour l’Europe avec pour première destination, le sud de la France. « Le tournage a débuté en France et s’est terminé dans le Borinage. C’est la chronologie inverse du film, car celui-ci débute avec Vincent Van Gogh, alias Kirk Douglas, en Belgique, quand le peintre, alors évangéliste, commence à se consacrer de plus en plus à son art », explique Philippe Reynaert, directeur de Wallimage. « Il faut imaginer la stupeur des gens du coin quand ils ont vu débarquer cette grosse troupe américaine. Pour Hollywood, cette période est celle d’un âge d’or, dans tous les sens du terme, alors que le Borinage était la région la plus pauvre de Belgique – c’était la crise des charbonnages. La rencontre de ces deux univers était vraiment des plus improbables », continue-t-il.
Seconde vie pour Lust for Life
De cette rencontre improbable entre les paillettes et le charbon, Philippe Reynaert n’espérait pas en tirer autant. Appelé il y a deux ans pour travailler sur un projet « cinéma » dans le cadre de Mons 2015, capitale culturelle de l’Europe, le directeur de Wallimage et critique de cinéma ignorait ce qu’il allait bien pouvoir proposer. « Nos idées initiales étaient ce que j’appelle de fausses bonnes idées. On a pensé à faire un documentaire sur Mons, un concours de scénario, etc. Et puis, on a découvert cette histoire de tournage. Je pensais ne trouver dans le film Lust for Life que quelques brefs passages tournés en Belgique. En réalité, il y a 19 minutes ! Une belle surprise ! On a travaillé avec la Cinémathèque de Bruxelles, la Bibliothèque nationale, mais aussi la Bibliothèque des Oscars à Los Angeles. Oui, oui, cela existe. Elle est très peu connue, mais cette bibliothèque conserve les archives de tous les films oscarisés. Pas seulement les films en soi, mais bien tout ce qui a fait le film, c’est-à-dire les dessins, les costumes, les documents de toutes sortes… Un vrai coffre aux trésors, et gardé minutieusement comme tel. J’y suis entré, surveillé comme dans le coffre d’une banque. » Il continue : « On a obtenu de la Warner, qui a désormais les droits du film, de faire rénover les internégatifs originaux. C’est en cours actuellement. Un travail à la fois artistique et scientifique, mené obligatoirement aux États-Unis – ils n’ont pas souhaité faire sortir cela – mais coordonné et supervisé par la Cinémathèque royale de Belgique. Il s’agit donc bien d’une coproduction Mons 2015/Warner, ce qui est en soi assez exceptionnel. » Au programme donc, à la mi-février, une projection en avant-première du film rénové, suivie de quatre autres mais dont les dates sont encore à déterminer. « J’ai voulu inviter Kirk Douglas à venir, mais l’acteur, très âgé, ne pourra pas se déplacer. Par contre, son fils, Michael Douglas, dit qu’il serait fier de venir à Mons. J’attends de connaître ses dates pour fixer la date de la première ! »
« Comme le veut une certaine tradition dans la région, qui voit les gens s’asseoir sur une chaise sur le pas de leur porte, nous leur avons à chacun donné pour cette séance privée de cinéma une chaise différente de l’autre. Un ensemble de chaises dépareillées comme symboles d’ancrage dans le Borinage. »
Qui a vu Kirk Douglas ?
Le tournage s’étant déroulé en 1955, il y avait de fortes chances qu’il reste encore quelques personnes qui aient vécu cet évènement. Pour les retrouver, l’équipe de Philippe Reynaert a organisé un appel à témoins : « Qui a vu Kirk Douglas ? » Les réponses ont rapidement fusé. Une cinquantaine de personnes se sont manifestées, mais seulement une vingtaine dont les souvenirs sont les plus précis et pertinents ont été retenues. « Il s’agit de personnes qui ont été figurants sur le film, ou d’autres qui ont croisé l’équipe de tournage d’une manière ou d’une autre. Pour certains, ce fut l’aventure de leur vie. Ils ont gardé précieusement des souvenirs matériels de ces quelques jours. Ainsi, une dame a toujours son carnet de poésie dédicacé par Kirk Douglas. Un ancien ouvrier polonais qui a fait de la figuration sur le tournage a, lui, gardé quelque chose d’original. Pour ces quelques jours de travail, il a été défrayé par la production. Il a gagné en 2-3 jours les 2/3 de ce que valait son loyer mensuel à l’époque. Mais au lieu de profiter de cet argent bienvenu… il a conservé les billets ! Il me les a montrés, il n’a rien dépensé. Il les a gardés en souvenir. La preuve que ce tournage a profondément marqué l’esprit et le coeur de ceux qui l’ont vécu ! » Cette somme de souvenirs et de témoignages est devenue l’objet d’une exposition qui se tiendra aux Abattoirs de Mons, en parallèle à une exposition sur le tournage lui-même.
Pour les besoins du documentaire, les témoins ont été interviewé sur les lieux mêmes où ils ont vécu leur expérience du tournage de «Lust for Life».
« Ce sera une exposition tout public sur l’histoire extraordinaire d’un tournage hollywoodien au Borinage avec les témoignages vidéo de ces témoins », explique Philippe Reynaert. Après avoir découvert toute cette matière sensible, il fut également décidé de faire un documentaire de 26 minutes sur base des témoignages. Philippe Reynaert le co-réalise avec Henri de Gerlache. « On a interviewé les témoins, maintenant très avancés en âge comme on s’en doute. On les a filmés sur les lieux mêmes où ils ont vécu leur expérience avec l’équipe du tournage. Mais un des moments les plus touchants, c’est quand nous avons organisé pour eux cet été, dans la cour du Grand-Hornu, une séance de cinéma spéciale, en plein air, pour visionner le film. L’écran a été spécialement conçu pour être à la taille exacte de l’image. Dans le noir complet, les images semblaient flotter. Comme le veut une certaine tradition dans la région, qui voit les gens s’asseoir sur une chaise sur le pas de leur porte, nous leur avons à chacun donné pour cette séance privée de cinéma une chaise différente de l’autre. Un ensemble de chaises dépareillées comme symboles d’ancrage dans le Borinage. Le but était de filmer ces personnes, leurs visages, leurs expressions, de capturer leurs émotions lors du visionnage du film, quand par exemple, ils se reconnaissent dans un passage. Pour obtenir un bon résultat, on a passé les 20 premières minutes plusieurs fois d’affilée. Quand nous avons été contents du résultat, on a proposé à ceux qui le souhaitaient de rester pour voir le reste. Comme il s’agit de personnes âgées et qu’il était déjà très tard, je me disais qu’il ne resterait personne. En fait, plus de la moitié est restée jusqu’à une heure du matin pour voir le film en son entier », se souvient tout sourire et encore ému Philippe Reynaert. Le documentaire réunira donc au total huit témoins et trois spécialistes du cinéma. L’exposition, quant à elle, comptera 15 témoignages. À ne pas manquer non plus : la Warner, pour valoriser le travail de restauration du film, sortira dès le 11 février 2015 un coffret DVD avec Blueray et Bonus accompagné d’un livret signé par la Fondation Mons 2015.
Renseignements
Exposition « Hollywood au pied du terril »
Du 21 février au 17 mai 2015
Frigo des Anciens Abattoirs
Rue de la Trouille, 17
B-7000 Mons
www.abattoirs.mons.be