- Business
Par Marc Vanel
La société namuroise Bibmatic a mis au point “Invineo”, un distributeur de vin au verre d’un nouveau genre, résultat de quatre années de recherches. Vingt-cinq prototypes sont actuellement testés.
Inscrite à Andenne mais actuellement installée dans des locaux industriels de Court-Saint-Etienne, en Brabant wallon, la SA Bibmatic est dirigée par Thierry Tacheny. Fils de Jules Tacheny, pilote de moto belge qui géra notamment le circuit de Mettet, l’homme n’a pas suivi les traces paternelles mais s’est investi corps et âme depuis 1983 dans la pub et les médias. Il est l’un des fondateurs de la régie IP, il en fut DG ajoint, et participa à ce titre à la recherche du financement de RTL-TVi en Belgique. Après une expérience similaire de cinq ans en France, il revient au pays en 2002 pour diriger le groupe SBS Belgium, multinationale qui détient les chaînes flamandes VT4, Vijf et Zes. En 2014, il disparaît du paysage médiatique, il a décidé de changer de vie.
« Après 35 ans, explique Thierry Tacheny, il y a toujours quelques idées saugrenues qui traînent dans les tiroirs. Invineo en est une. C’est une vraie idée de créatif, spontanée, du type de celles qui naissent en fin de soirée… Nous étions plusieurs à déguster du vin lorsque nous nous sommes demandés s’il était possible d’inventer une technologie permettant de servir un verre de vin de qualité à la bonne température et de créer ainsi une manière originale de servir le vin. »
Les 3 F
La réflexion peut étonner lorsque l’on sait que d’autres machines du genre existent dans l’Horeca. Mais leur système a des limites et nécessite notamment l’injection de gaz alimentaire ou d’azote pour remplacer le vin prélevé et éviter l’oxydation du solde de vin. Après avoir consulté plusieurs spécialistes et techniciens, Thierry Tacheny décide d’aller plus loin et d’investir pour créer un prototype avant de pouvoir en déposer le brevet.
« J’ai fait appel à la société WOW Technology (tombée en faillite en 2017 – ndlr) à Namur. Mon ambition est de créer un service qui pourrait s’apparenter à une célèbre machine à café où il suffit de placer une capsule pour avoir un café à la bonne température, une espèce de sommelier à domicile. Après un tour des trois F (Friends, Family and Fools – Famille, Amis et Fous), nous avons levé un budget de 750.000 euros et obtenu aussi un prêt de la Région wallonne de 350.000 euros via son programme d’aide aux prototypages. Ce budget nous a permis de valider la faisabilité du projet dans de bonnes conditions et d’élaborer un prototype présentable permettant de refroidir, servir et conserver le vin, mais aussi une surveillance à distance. »
Vin en tube
Concrètement, Invineo se présente comme une grosse machine à café comme on les voit dans l’Horeca avec trois tubes de vin protégés par une coque en plastique et ornés d’une grande étiquette, plus grande que celle d’une « vraie » bouteille. De loin, on dirait un magnum. Le vin n’est en effet pas distribué en bouteilles dans cette machine d’un nouveau genre, mais dans un contenant mi-carton, mi-plastique qui contient une poche de bag-in-box (BIB) pouvant être servie par le haut et non par un robinet extérieur.
Le vin est expulsé du tube par un mécanisme qui le refroidit dans le même temps. Aucun gaz alimentaire n’est ajouté, le vin est donc préservé de l’oxygénation. Chaque tube contient deux litres de vin et dispose d’une autonomie de vie de l’ordre de neuf semaines. Une puce est collée sur chaque tube et permet à la machine d’analyser les ventes et d’être contrôlée à distance par Bibmatic.
« Notre projet, continue l’ex-publicitaire, n’est pas seulement de vendre nos machines et d’en assurer l’entretien, mais surtout de vendre les tubes et d’étendre la gamme au fil des ans. La prochaine étape va être l’aménagement d’une usine logistique où seront stockés ces vins et les cartouches assemblées. »
Pour sa première gamme de vins, Invineo a récupéré les soixante références qui ont quelque temps été commercialisées chez nous sous la forme de BIB par la société française BiBoViNo qui s’est retirée du marché belge mais poursuit ses activités en France. Pour l’heure, les vins arrivent chez Bibmatic dans des poches Biobovino et sont transvasés dans les contenants Invineo. A moyen ou long terme, Bibmatic devrait importer ses propres vins, mais ce sera pour une étape ultérieure.
En mars 2018, les promoteurs du projet ont levé 2,7 millions supplémentaires et élargi l’actionnariat à quelques acteurs du vin, tels que Cinoco/Le Palais du Vin ou Jean-François Baele qui abrite actuellement le remplissage des poches dans son entrepôt du Ry d’Argent à La Bruyère. La Société régionale d’investissement de Wallonie (SRIW) a également mis 750.000 euros sur la table tandis que Namur Invest a avancé 250.000 euros.
Quels marchés ?
L’intention d’Invineo n’est pas de démarcher la restauration gastronomique qui dispose généralement d’un sommelier en chair et en os, mais de viser des établissements plus modestes qui peuvent ainsi débiter trois vins (ou six avec deux machines) et se concentrer sur leur core business. Mais on peut aussi imaginer de placer ce type de machines dans les hôtels, soit au bar ou, pourquoi pas ?, dans les chambres. Vingt-cinq machines sont actuellement en test dans divers établissements, deux ont même été placées au Parlement wallon avec six vins wallons.
Pour Fabrizio Bucella, l’un des propriétaires du bar à vins Wine Club qui teste la machine, celle-ci a trois avantages : « La température de service, le dosage choisi sur le tableau de commande exactement respecté et l’approvisionnement très facile par Invineo. Pour le service au verre, la gestion des tubes est beaucoup plus simple que celle des bouteilles dont on jette souvent une bonne partie en fin de journée ou le lendemain. A terme, je vois bien un coin avec cinq machines et quinze vins qui seront débités sans aucun problème. »
La reproduction en série est en cours d’étude, les premières Invineo sortiront à la mi-2019. Thierry Tacheny et son associé Etienne Mertens espèrent pouvoir en placer 2 à 3.000 dans les 3 à 5 ans, la rentabilité devrait être atteinte au seuil de 1.500 pièces. Celles-ci devraient être assemblées en Wallonie, créant par là aussi une cinquantaine d’emplois.