- Dossier
- / Musée MUDIA
Par Christian Sonon
Si le Mudia est le fruit du travail d’une équipe de spécialistes, c’est à Eric Noulet que l’on doit sa conception. Ce collectionneur passionné d’art a pris trois ans de sa vie pour que le public dispose d’un outil didactique innovant et passionnant. Quelque chose qui n’existait pas !
Il se dit zinneke, un enfant de Bruxelles, mais il avoue une profonde attirance pour nos Ardennes. C’est d’ailleurs là, plus précisément à Herbeumont, qu’il a rencontré celle qui allait devenir son épouse. « Un attachement réciproque qui ne faiblit pas depuis 50 ans, nous souffle Eric Noulet, notamment parce que nous partageons les mêmes passions ». Parmi celles-ci, l’attrait pour l’art, bien sûr, mais également les longues promenades dans la forêt où le couple aime ramasser des champignons en saison et des… détritus toute l’année. « Nous avons un devoir envers la nature », justifie-t-il. Visiblement, le collectionneur estime avoir un devoir envers les enfants aussi puisque s’il a consacré trois ans de sa vie, sans l’aide des pouvoirs publics, à monter un petit bijou comme le Mudia, c’est avant tout pour les éduquer à l’art en les émerveillant. Ou peut-être est-ce l’inverse…
Eric Noulet, d’où vous vient cette passion pour l’art ?
Mes parents avaient des tableaux, rien de grande valeur, mais cela a éveillé ma curiosité, certainement. Quand j’étais jeune, j’ai parcouru des dizaines de pays avec mon sac sur le dos et, chaque fois qu’un musée se présentait sur ma route, je le visitais. Quand j’habitais Paris, j’ai franchi la porte du Louvre 300 fois, en soirée, afin de découvrir chaque section une à une. Quand je suis dans un musée, je suis toujours heureux. C’est comme si j’étais sous un parasol. Je peux y respirer à mon aise, m’imbiber de sensations.
Les œuvres qui sont exposées au Mudia viennent en grande partie de votre collection. Vous souvenez-vous de votre premier achat ?
Oui. Je devais avoir 20 ans. Mais je n’en suis pas très fier, car ce n’était qu’une carte postale collée sur une toile. En revanche, un des premiers tableaux significatifs que j’ai acquis était une œuvre du fauviste Jean Vanden Eeckhoudt, qui est d’ailleurs exposée à Redu. En réalité, c’est à l’approche de la quarantaine que ma passion s’est intensifiée et que je me suis mis à acquérir des œuvres. En raison d’un problème au dos, le tennis, le squash, le jogging ne m’étaient plus conseillés et ma course s’est orientée vers les salles de vente en Belgique et à l’étranger. C’est ainsi que je suis devenu un collectionneur éclectique, mon attirance allant des tableaux anciens à la peinture moderne – jusqu’au milieu du XXe siècle –, en passant par la sculpture du XIXe. Mais il n’est gère aisé d’acheter à bon escient. Il en est des tableaux comme des vins : pour ne pas se tromper dans la quête de la qualité, il faut non seulement avoir beaucoup visité afin d’être en mesure d’établir des comparaisons, mais il est également nécessaire d’avoir une bonne connaissance livresque. J’ai une bibliothèque d’art grande comme cette pièce (il montre une superficie d’une trentaine de mètres carrés, ndlr).
Les autres œuvres exposées proviennent de collections privées ?
Toutes, car c’est trop compliqué d’obtenir des prêts des musées. J’ai ainsi pu obtenir quelques belles œuvres, un Véronèse, un Kandinsky, un Sweerts… Entre collectionneurs, on forme en quelque sorte un réseau. Comme on se connaît, on se prête volontiers des tableaux. J’en prête moi-même chaque année. Une passion, ça doit se partager, sinon c’est une manie.
Vous trouvez que les musées ne sont pas attrayants ?
En tout cas, ils sont élitistes, ils ne sont pas faits pour les gens ordinaires. Ceux-ci n’y vont pas car ils s’ennuient. Il faut dire que les docteurs en art qui confectionnent les panneaux didactiques éprouvent souvent le malin plaisir d’utiliser des termes sibyllins. Si vous ignorez certains termes ou tournures de phrases, vous n’apprenez rien et donc votre visite n’a pas de sens. C’est pourquoi, à Redu, avec mon épouse, nous avons pris grand soin de n’utiliser que des mots compréhensibles par tous. Et nous avons inventé des « historiettes », pour accrocher l’attention des visiteurs. C’est pour répondre à leur attente que nous avons imaginé le Mudia.
Il y a une soixantaine de panneaux ou systèmes interactifs dans le musée. C’est du jamais vu !
Dans le local technique, le mur est quasi tapissé de câbles ! Il y a des jeux, des tests, des vidéos, des tableaux animés, des expériences burlesques ou didactiques, des attractions, des surprises. Tout est pensé pour passionner les visiteurs, surtout les plus jeunes. Et ils sont souvent scotchés ! Quand mes petits-enfants sont revenus de la visite, ils n’ont pas arrêté de parler de la tête de Charlotte Corday et du tableau de Jérôme Bosch. Mais si le côté ludique est très présent, il y a aussi quasi chaque fois quelque chose à apprendre. J’ai ainsi imaginé un test pour faire comprendre aux visiteurs les aspects méconnus du marché de l’art ancien, attirer leur attention sur la date et la signature d’un tableau, leur expliquer la différence entre un faux et une mauvaise attribution... Conséquence : s’il faut compter deux heures en moyenne pour faire le tour du Mudia, il faudrait trois jours afin de tout voir, lire et écouter !
Vous vous êtes entouré d’une équipe de spécialistes…
J’ai sélectionné les œuvres, imaginé le parcours et les attractions, mais celles-ci ont été conçues par les plus grands studios belges utilisant les techniques les plus innovantes, comme Vigo Universal à Namur. De même, le court métrage d’animation pédagogique expliquant l’évolution des différents mouvements artistiques a été réalisé par le studio français AmaK. Les jeux les plus sophistiqués sont l’œuvre de Xavier Wielemans, un ingénieur informaticien, qui s’est entouré d’une solide équipe d’infographiques spécialisés, et pour coordonner la scénographie, j’ai fait appel à l’expérience internationale de Christophe Gaeta. J’ai également demandé à Jacques Leegenhoek, un expert en œuvres d’art de niveau mondial, de faire partie du comité Mudia. Mais il y a aussi des gens dont la qualité réside simplement dans leur passion. Ainsi, en visitant un musée, je suis tombé sous le charme d’une guide, Marie-Elizabeth van Rijckevorsel, qui déployait tellement de dynamisme et d’inventivité dans ses explications, que je l’ai invitée à rejoindre l’équipe. C’est elle qui a rédigé les commentaires de l’audio-guide.
Le public est-il au rendez-vous ?
Le succès dépasse nos espérances puisque nous avons enregistré 2.200 personnes le premier mois. Nous avons même accueilli des visiteurs prestigieux dont nous devons taire les noms par devoir de discrétion – la Reine Mathilde est déjà venue à deux reprises, la seconde fois en famille, ndlr. Et les personnes que j’ai rencontrées m’ont dit qu’elles allaient revenir. En famille ou avec des amis. Rien ne peut me faire davantage plaisir ! Et les critiques sont unanimes. Sauf celle d’un journaliste français qui regrettait qu’il n’y ait pas un Raphaël ou un Botticelli ! Evidemment qu’il n’y en a pas car certains artistes sont impayables, ils n’ont pas leur place dans un budget de trois millions d’euros. Mais tous les courants majeurs sont représentés et c’est ce qui compte dans notre démarche didactique. Nous n’avons pas voulu ouvrir un musée prestigieux, mais un lieu à nul autre pareil. Vous savez, j’ai travaillé dans le marketing pour diverses entreprises, puis je suis devenu entrepreneur, un « business starter » comme on dit. J’ai créé de nombreuses sociétés avec toujours la même devise : rechercher l’originalité, ne jamais faire comme les autres. Ma ligne de conduite fut la même pour le Mudia : je voulais que quelque chose qui n’existait pas surgisse !
Aujourd’hui, vous êtes fier de l’enfant qui a surgi ?
J’éprouve de la fierté pour le travail accompli par l’ensemble de l’équipe car chacun porte une part de cette réussite. Ceci dit, après l’ouverture du Mudia, j’ai encore constaté certains disfonctionnements que j’ai dû régler en urgence. Le problème, c’est que je suis toujours à la recherche de l’excellence. Ce fut le cas pour installer les œuvres et les animations dans chaque pièce du musée, mais également pour approvisionner le « Mudia Café », notre espace de petite restauration. Je me suis entouré d’un grand sommelier, Stéphane Dardenne, mais j’ai moi-même goûté les charcuteries, fromages, foie gras, bières, etc, car je voulais être sûr de proposer le meilleur choix possible.
Et côté santé ?
Les huit derniers mois, je travaillais en mangeant, à raison de seize heures par jour et sept jours sur sept. Résultat : j’ai eu un accident vasculaire et je me suis bousillé le dos à force d’être vissé devant mon écran d’ordinateur. Ce qui a fait dire à mon épouse que j’avais conçu un musée extraordinaire mais que j’y avais laissé la santé ! (sourires)