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© Genevieve Levivier
© Genevieve Levivier
© A+ZDesign

Textile et alchimie

  • Tendance
Brabant wallon  / Genappe

Par Carole Depasse

un creuset poétique

Geneviève Levivier voyage entre art et innovation textile. Ses créations, longtemps recherchées dans le secteur de la Haute Couture, sont aujourd’hui remarquées pour leur exceptionnelle présence visuelle et leur démarche artistique.


Geneviève est née en 1963 à Bruxelles. Après une enfance les mains dans la peinture, la jeune femme entame un parcours académique classique. Des études de philosophie « parce que, pour mon père, l’université, quand on avait une tête bien faite, c’était la voie royale ». Si la tête y était, le cœur, lui, vagabondait du côté des arts plastiques. Geneviève, l’identité contrariée, n’aura donc de cesse d’enchaîner les formations artistiques (peinture, sérigraphie, céramique, design textile) pour satisfaire ses propres envies essentielles, avec en parallèle une carrière de journaliste qui s’impose à elle. Un passage formateur qui lui permettra de réseauter et d’apprendre les modes de fonctionnement des milieux culturels et artistiques. À 40 ans, mariée, maman, elle est rattrapée par le démon de la création. C’est le grand chambardement intellectuel et les prémices de sa carrière d’artiste.

Tapisserie Synesthesia. Installation in situ dans le verger du musée Van Buuren – dans le cadre du projet "Van Buuren Solidaire » – faisant partie d’un ensemble de quatre oeuvres textiles et végétales créées spécialement pour le lieu, transfigurant des bois
du jardin.


En tant que journaliste, Geneviève Levivier approche le secteur du design textile. « J’ignorais à l’époque que le textile pouvait être un secteur artistique à part entière ». Coup de foudre ! « Je me suis dit, ça y est, j’ai trouvé mon médium, je ne me trompe pas. J’ai vu ce médium comme un creuset dans lequel il me serait possible de me livrer à des expérimentations libres. Le textile, c’est sensuel, matiériste, pictural et graphique. Je peux le suspendre, faire des sculptures, des interventions dans l’espace, le travailler comme du design commercial ou une œuvre d’art. La diversité et la multiplicité des applications étaient pour me plaire ». Une révélation qui offrait la possibilité de débouchés commerciaux non négligeables. « Je suis retournée sur les bancs de La Cambre et d’une haute école technique pour apprendre mes gammes ».

Chimie et art textile, un alliage précieux et eco-friendly

Arrivée au cœur de sa reconversion, Geneviève Levivier sollicite le savoir-faire de son époux, Pierre-Yves Herzé, ingénieur chimiste, spécialiste des polymères, pour développer et tester des formulations qui lui permettent de travailler des effets créatifs inédits. « Il ne s’agissait pas de juste mettre de la peinture sur du tissu ! »

Les produits innovants mis au point grâce à la science pointue des polymères sont alors repris par la créatrice pour des applications design sur son matériau de prédilection. De la chimie, oui, mais de la chimie propre. « Mon mari a formulé les ingrédients de polymères eco-friendly, sans solvant, sans plastifiant et non allergènes. Il n’était pas question que quelqu’un touche ou respire des produits toxiques. Ensemble, nous avons créé une nouvelle niche, mélange de textiles traditionnels nobles rehaussés par des techniques de chimie novatrices. Cette étape franchie, j’avais toujours à cœur de gagner ma vie ; je me suis donc posée la question de l’usage du tissu avec une valeur ajoutée de création et d’innovation. Pour qui ? Dans quel domaine ? La réponse fut évidente : la Haute Couture ».

Le duo développe alors une courte gamme de produits textiles avec rehauts de matière, effets de reliefs et de coloration, palette de leur savoir-faire, et la présente aux plus célèbres noms du milieu. Les broderies polymères font leur effet, une des maisons françaises de Haute Couture parmi les plus renommées de Paris accroche immédiatement. « Le rêve devenait réalité : j’ai enfin pu exprimer ma sensibilité picturale sur les matières les plus nobles, tulle de soie et de laine, cachemire, fibres pures… en travaillant main dans la main avec le plus grands. C’était un mélange de grande liberté et de contraintes techniques qui vous mettent immédiatement le pied à l’étrier ! »

« Geneviève, tu es une artiste »

Les premières commandes pour des collections-capsule affluent. En urgence, le couple loue trois ateliers de fabrication provisoires, engage du personnel et dépose le nom d’une société, A+ZDesign®, dont l’outil de travail se situe aujourd’hui à Genappe. « Nous faisions tout, la recherche & développement, les tests, la création des collections, la production et même la livraison. »

Geneviève reste concentrée huit années sur la Haute Couture tout en postulant sporadiquement à des appels à projets pour des expositions ou des bourses dédiées à l’innovation et au design textile. C’est l’époque des tapisseries polymères et des panneaux en dentelle de bois. « La difficulté était d’être au top sur les deux fronts, Haute Couture et expositions. En 2016, j’ai pris la décision de donner une chance à mon travail artistique en mon nom propre. J’ai alors bénéficié d’un coaching de la Région wallonne sur le positionnement des entrepreneurs. À la fin de la formation, le groupe m’a confié : « Geneviève, tu es une artiste, tu ne produis pas du tissu, tu produis des œuvres, tu dois donc les présenter comme telles et te rendre visible ».

En 2017, Geneviève est exposée pour la première fois comme artiste dans une galerie suisse. Il s’ensuit des invitations par d’autres galeries et musées comme, dernièrement, le Musée Van Buuren, à Bruxelles.

« Je capture ainsi un instant dans la nature passagère du vivant et ma quête est de le rendre éternel. »

 


© GenevieveLevivier
Robe-sculpture sélectionnée en 2015 pour l’Exposition Universelle de Milan par le Pavillon de France. Sollicitée par TextiFood, Geneviève Levivier a détourné une fibre innovante issue de reliquats de l’agroalimentaire, extraite du maïs et de la betterave.

« L’Abbaye de Villers-la-Ville, c’est un lieu dingue, je leur ai donc proposé d’exposer in situ les œuvres issues de mes dernières expérimentations. À l’époque, je fabriquais de grands panneaux textile à base de coquilles d’œufs récupérées. »

 


© GenevieveLevivier

Des vitraux flottants à Villers-la-Ville

« Artiste » n’est pas un statut autoproclamé. Malgré des encouragements sincères et des incitations appuyées, Geneviève Levivier doutait encore, jusqu’en 2018, de ses exceptionnelles qualités créatives. Jusqu’à sa rencontre avec l’Abbaye de Villers-la-Ville lors des Trophées Incidences qui récompense, en Brabant wallon, les pratiques novatrices et éco-responsables. « L’Abbaye de Villers-la-Ville, c’est un lieu dingue, je leur ai donc proposé d’exposer in situ les œuvres issues de mes dernières expérimentations. À l’époque, je fabriquais de grands panneaux textile à base de coquilles d’œufs récupérées. Du monumental dans les ruines abbatiales ! Ils ont accepté et m’ont donné carte blanche. Grâce à eux, je me suis enfin assumée comme artiste plasticienne et les « vitraux textile de l’abbaye » m’ont révélée. C’était le début d’une démarche actuelle. Mes œuvres interagissent avec la nature comme avec leur environnement, je travaille de plus en plus in situ et sur-mesure. Mes tapisseries ou sculptures textiles abstraites sont composées de fleurs, de plantes, de coquilles d’œufs, de fibres naturelles ou biosourcées. Je capture ainsi un instant dans la nature passagère du vivant et ma quête est de le rendre éternel. »

En 2019, une œuvre grand format de l’artiste, qui avait été exposée à l’Abbaye de Villers-laVille, a été a acquise par la collection d’Art de la Province du Brabant Wallon, tandis que d’autres font partie de collections privées dans le monde, dont récemment une œuvre sur mesure à New-York.

www.apluszdesign.be

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