- Culture
Par Christian Sonon
I presume ?
Savez-vous qu’à la gare des Guillemins vous pouvez prendre le bateau et remonter le Nil jusqu’à la Vallée des Rois, puis pénétrer dans le tombeau de Toutankhamon sans risquer d’être frappé par la malédiction ? Non ? Alors dépêchez-vous de prendre votre ticket, cette exposition exceptionnelle se clôture le 31 mai.
Une exposition sur le « pharaon oublié » à Liège ? Certains se sont demandé si les organisateurs ne prenaient pas un gros risque alors que trônait encore dans les mémoires l’exposition sur Toutankhamon qui avait illuminé les salles de Brussels Expo en 2011, mais aussi et surtout compte tenu des 1.420.000 visiteurs qui s’étaient déplacés à Paris, entre mars et septembre 2019, afin d’admirer le « Trésor du Pharaon » et ses nombreuses pièces issues des collections permanentes du musée du Caire. « Un risque ? Non ! D’ailleurs, nous avons déjà fait 30.000 entrées durant le premier mois », tranche, le sourire aux lèvres, Marie Kupper, qui n’était pas encore née en 1991 quand son grand-père, René Schyns, organisa la première exposition sur Hergé à Welkenraedt et qui se prépare aujourd’hui, à 25 ans, à prendre doucement sa succession à la tête d’Europa Expo.
Et la jeune directrice organisationnelle et financière d’expliquer : « Nous avons toujours cherché à présenter les grands événements d’une manière différente. Pour cette exposition, nous avons choisi d’entraîner les visiteurs sur les pas d’Howard Carter, de leur faire partager ses espoirs, ses doutes, puis son émerveillement lorsqu’il tomba soudain sur ce tombeau que tout le monde avait cherché en vain. Ensuite, après avoir découvert, comme l’archéologue, les trois principales salles du tombeau reconstituées à l’identique, ils pourront se faire une idée précise, en cheminant à travers une quinzaine de salles thématiques, de ce qu’était l’univers du jeune pharaon grâce à la multitude d’objets trouvés sur place et remis dans leur contexte historique. C’est sans doute cet ensemble de connaissances qui constitue le véritable trésor de Toutankhamon ! »
A 25 ans, Marie Kupper se prépare à prendre doucement la succession de son grand-père René Schyns à la tête d’Europa Expo.
Deux premières mondiales
Sur les centaines d’œuvres d’art emblématiques qui sont exposées à Liège, environ 200 sont des pièces originales issues de musées (le MET Museum de New York, Le Louvre, les musées de Mariemont, Manchester…) et de collections privées. Et 250 sont des copies certifiées provenant des ateliers du musée du Caire et prêtées par le ministère des antiquités égyptiennes. « Notre exposition présentera en outre deux « premières » mondiales : la reproduction d’une partie d’un palais royal et à la réplique de l’atelier de Touthmose, le sculpteur officiel de la royauté », explique Marie Kupper, qui souligne que les peintures murales du palais ont été réalisées par les artistes des ateliers d’Europa Expo qui ont utilisé des piments – comme à l’époque – et ont poussé le souci du détail en reproduisant les moisissures ! Que ceux qui craignent la malédiction se rassurent : elles sont bien imitées, mais elles sont fausses. Il n’y a donc aucun risque d’inhaler des poussières allergènes…
Repères
• 4 novembre 1922 : découverte de l’escalier conduisant au tombeau de Toutankhamon.
• 26 novembre 1922 : Howard Carter pénètre dans l’antichambre du tombeau en présence de Lord Carnavaron.
• 17 février 1923 : ouverture de la chambre mortuaire en présence de la Reine Elisabeth et du célèbre égyptologue belge Jean Capart.
• 28 octobre 1925 : ouverture du 3e cercueil abritant la momie.
Toutankhamon et l’Egypte antique
La civilisation de l’Égypte antique commence vers 3150 av. J-C. avec l’unification politique de la Haute-Egypte et de la Basse-Egypte, et se développe jusqu’au règne de Ptolémée XV (le fils de Cléopâtre VII), le dernier pharaon qui fut exécuté en -30 par Octave (le futur premier empereur romain). Ces trente-deux siècles ont été divisés en trente-trois dynasties. Toutankhamon (-1335 à -1327) appartient à la XVIIIe dynastie, durant laquelle l’Egypte connut la puissance et la gloire – alors que la XIXe dynastie sera marquée par le règne de Ramsès II. Il avait 8 ans quand il est monté sur le trône et est mort à 17 ou 18 ans, sans laisser de descendance.
La reproduction de la décoration d’un palais royal, une première mondiale.
Akhénaton, le pharaon « impie »
Toutankhamon était le fils du pharaon Amenhotep IV, surtout connu pour avoir voulu balayer le polythéisme en imposant le culte monothéisme du dieu solaire Aton. Pour mieux honorer ce dieu, il s’est fait appeler Akhénaton (« celui qui est utile à Aton ») et a bâti une ville, Akhétaton (« horizon d’Aton »), entre Memphis (Le Caire) et Thèbes (Louxor), dont il a fait le nouveau cœur de l’Égypte. A sa mort, soit après un règne peu glorieux sur le plan militaire, l’ancien culte fut rétabli et la ville du pharaon « impie » fut laissée à l’abandon. Le site archéologique d’Akhétaton a été exploré sous le nom d’Amarna.
« Mister Carter est un garçon de bonne composition qui s’intéresse exclusivement à la peinture
et à l’histoire naturelle... Je ne vois pas l’utilité pour moi d’en faire un fouilleur ! »
(l’archéologue Sir Flinders Petrie au service duquel Howard Carter travailla à 17 ans).
L’antichambre merveilleux
C’est en 1922, soit après cinq saisons de vaines recherches, que l’archéologue britannique Howard Carter qui travaillait pour le compte de Lord Carnavaron découvrit la tombe de Toutankhamon dans la vallée des Rois, près de Louxor. On comprend l’émotion de son équipe quand un ouvrier mit au jour une première marche, le 4 novembre de cette année là. Après avoir dégagé l’escalier et traversé un long couloir, l’archéologue risqua un œil dans l’antichambre du tombeau par une ouverture pratiquée dans la porte. « Pendant quelques secondes – qui durent sembler une éternité à mes compagnons –, je restais muet de stupeur. Lorsque Lord Carnarvon me demanda enfin : « Vous voyez quelque chose ? », je ne pus que répondre : « Oui, des merveilles ! »
Des cercueils gigognes
Après la découverte du tombeau, il fallut encore beaucoup de patience et d’huile de bras à l’équipe d’Howard Carter pour arriver à la momie, puisque celle-ci reposait dans un sarcophage de 110 kilos en or massif qui avait été enfermé dans deux autres cercueils à l’intérieur d’un grand sarcophage en quartzite, lui-même disposé sous quatre chapelles gigogne ou châsses dorées. « Nous étions le 28 octobre 1925. On retira doucement les longs clous d’or massif, puis on souleva le couvercle par ses poignées d’or. Sous nos yeux gisait une impressionnante momie, nette et soignée. Un magnifique masque d’or brillant représentait le visage du pharaon… »
Des en-cas pour la route
Carter a mis dix ans pour répertorier les 5.398 objets retrouvés dans le tombeau, dont quelque 200 glissés sous les bandelettes de la momie. Parmi ces objets, des chars, des armes (épées, haches, massues, cuirasse, boucliers…), des bijoux, des vêtements…, ainsi que de la nourriture en quantité (48 boîtes de viande de bœuf et de volaille, 28 jarres de vin…). Les Égyptiens, en effet, croyaient en la vie éternelle et à la rétribution des actes posés pendant notre passage sur terre. C’est donc un véritable voyage qu’ils entreprenaient après leur mort, pour comparaître devant un tribunal de quarante-deux dieux. Ces aliments, vêtements et richesses devaient permettre au jeune pharaon de supporter le voyage, mais aussi de faire des offrandes aux dieux.
Thoutmose, le sculpteur de l’idéal féminin
La reproduction de l’atelier de Thoutmose, le sculpteur officiel d’Akhénaton, constitue une première mondiale. Les fouilles effectuées à Amarna ont permis de le reconstituer avec les instruments de l’époque, les plâtres et les blocs à sculpter. Les visiteurs peuvent suivre, étape par étape, le travail de l’artiste toujours en quête d’une recherche de perfection formelle absolue comme l’atteste le fameux buste de Néfertiti sorti de son atelier. La reine était sans doute fort belle, mais quand on sait que pour les Égyptiens, la beauté du corps était le miroir de la beauté de l’esprit, on devine que le sculpteur se soit surpassé afin de reproduire des traits atteignant la perfection.
La malédiction : quand la légende tombe en poussières
Toutankhamon n’ayant pas eu le temps d’accomplir de grandes choses durant son court règne, le pharaon est surtout connu en raison de la malédiction liée à la violation de son tombeau. En effet, plusieurs membres de l’équipe d’Howard Carter ainsi que plusieurs proches décédèrent quelques années après la découverte de la momie, dont Lord Carnavaron, le commanditaire des fouilles, qui mourut seulement cinq mois après. En se rasant, il se blessa à l’endroit où il avait été piqué par un moustique et l’infection se mua en septicémie. Il avait 56 ans.
Selon les scientifiques, les candidats les plus sérieux à l’origine de cette « malédiction » seraient des substances organiques (fruits ou légumes) présentes dans la tombe. Au cours des siècles, ces produits se sont décomposés et ont donné naissance à de la moisissure qui s’est transformée en particules de poussière allergène.
EUROPA EXPO
Europa Expo est à l’initiative d’une dizaine de grandes expositions qui ont attiré trois millions de visiteurs : Tout Hergé à Welkenraedt (1991), Tout Simenon à Liège (1993), J’avais 20 ans en 45 (1995), Made in Belgium (2005) et Léonardo Da Vinci à Bruxelles (2007-2008). Depuis la création de l’espace muséal Calatrava à la gare de Liège-Guillemins, Europa Expo en a fait le rendez-vous culturel de la ville de Liège. Se sont ainsi enchaînées, les expos SOS Planet (2010-2011), Golden Sixties (2012-2013), Liège Expo 14/18 (2014-2015), De Salvador à Dali (2016), L’Armée Terracotta (2017), J’aurai 20 ans en 2030 (2017-2018) et Génération 80 Experience (2018-2019).
La Reine Elisabeth, piètre prophétesse
« En mars 1923, lorsque la Reine Elisabeth apprit que Lord Carnarvon était malade, elle a dit à son fils, le futur Léopold III : « Tous ceux qui ont pénétré dans la tombe de Toutankhamon, moi compris, sont voués à une mort rapide. » Élisabeth a été une des premières à évoquer la malédiction. Dieu merci, elle était meilleure reine que prophétesse puisqu’elle a vécu jusqu’à 89 ans. Moi-même, je suis mort d’un cancer à l’âge de 64 ans, en 1939. » (Howard Carter , audioguide)
Ne cherchez plus la mère : Néfertiti
Extrait de la biographie d’Akhénaton écrite par Dimitri Laboury et publiée chez Pygmalion / Flammarion en 2010
Même si des doutes subsistent encore aujourd’hui, de nombreux scientifiques s’accordent à dire que la reine Néfertiti, l’épouse d’Akhénaton, était la mère de Toutankhamon. Dimitri Laboury, professeur adjoint d’histoire de l’art et archéologie de l’Égypte pharaonique à l’Université de Liège, qui est à la tête du comité scientifique de l’exposition, fait partie de ceux-là.
« Les données égyptologiques sont en réalité assez claires, explique-t-il. Tout d’abord, le fait que cet enfant d’environ 8 ou 9 ans soit couronné pharaon à un moment délicat de l’histoire égyptienne, où le pouvoir de fait est tenu par des personnages haut placés dans l’armée qui succèderont à l’enfant-roi, mais le laisse néanmoins passer devant eux, révèle, sans le moindre doute possible, que cet enfant a des origines royales, car son droit de préséance ne peut s’expliquer, à cet âge, que par son sang. Par ailleurs, la documentation épigraphique provenant du site d’Amarna révèle l’existence d’un « fils du roi de son corps, Toutankhaton », dont on sait parfaitement qu’il s’agit du nom original, de naissance, du futur Toutankhamon. En ce qui concerne la mère de l’enfant-roi (nécessairement intime avec le souverain Akhénaton), une scène de deuil de la tombe royale d’Amarna – soit un monument très officiel – montre le couple royal en train de pleurer la mort de leur seconde fille, la princesse Méket-Aton, avec une nourrice (elle porte la coiffure caractéristique des nourrices de l’époque) qui emporte un très jeune enfant. La titulature (panneau protocolaire, voir illustration) qui l’accompagne montre, sans le moindre doute possible, qu’il s’agit d’un enfant royal, dont le nom comporte l’élément Tout- et le déterminatif (le signe à la fin du nom des individus dans l’écriture hiéroglyphique) est clairement masculin ; elle se termine en outre par la précision « enfanté par » Néfertiti. Dans ce contexte, la parenté de Toutankhamon ne fait pas de doute (d’autant que le calcul de l’année de sa naissance correspond à quelque temps avant le décès de Méketaton).
D’un point de vue égyptologique, Néfertiti est donc la mère de Toutankhamon. L’étude de paléogénétique sur les momies suspectées faire partie de la famille de Toutankhamon révèle par ailleurs que la momie KV35 YL (young lady) est génétiquement la mère de Toutankhamon. L’équation est donc facile à établir : le cadavre de Néfertiti n’est autre que la momie KV35 YL.
Alors, certes, quelques collègues prétendent encore chercher la sépulture de la reine, mais je pense que l’entreprise est totalement vaine car si on a sa momie, comment expliquer que sa tombe serait encore à découvrir ? »