- La Route de la Bière
Par Marc Vanel
tradition et modernité
Avec la cinquième génération déjà en piste, la famille Friart exploite la brasserie St-Feuillien au Rœulx depuis 1873.
Son credo : s’ancrer dans l’histoire de sa région et perpétuer la tradition du terroir.
Moine irlandais évangéliste du VIIe siècle, condamné à l’exil, Pholian (plus tard Feuillen) traversa la Manche et s’établit tout d’abord à Péronne, dans la Somme, avant de remonter à Nivelles, puis à Fosses-la-Ville pour y construire un monastère. Décapité par des brigands en 655, il fut enterré enterré au Rœulx à l’endroit même où, 470 ans plus tard, sera érigée une abbaye, et, 750 ans plus tard encore, une brasserie portant le nom de ce fameux moine. Le détail a son importance, car il permet aujourd’hui à cette entreprise, comme à cinq autres brasseries wallonnes, de porter le label « Bière d’abbaye belge reconnue » créé, dans les années 1990, par la Fédération des Brasseurs Belges afin de lutter contre une certaine anarchie en la matière.
« La Brasserie St-Feuillien, explique Dominique Friart, administratrice-déléguée depuis vingt ans, a été fondée en 1873 par Stéphanie Friart, mon arrière-grand-tante. Il y avait à l’époque deux brasseries au Rœulx et Stéphanie exploitait l’une d’elle. A sa mort, en 1910, son neveu, qui était mon grand-père, a repris ses affaires, mais également la seconde brasserie – l’actuelle – qui avait été construite en 1894 et était donc flambant neuve à l’époque. Les deux sites ont été exploités jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. En 1950, mon père a hérité de l’entreprise et, après son décès en 1982, mon frère a repris les rênes de la brasserie que j’ai à mon tour rejointe en 1988. En 2018, une nouvelle organisation a été mise en place en vue de consolider en la pérennisant la structure familiale et indépendante de l’entreprise ; nous avons ainsi nommé un directeur général, Edwin Dedoncker. Aujourd’hui, mon frère est président du conseil d’administration, je suis toujours administratrice-déléguée et la… cinquième génération est montée à bord. »
Une formation littéraire
Même si le parcours de Dominique Friart s’inscrit logiquement dans la lignée familiale, celle-ci n’avait pourtant pas choisi cette voie. Après une formation en secrétariat de direction et une licence de lettres à la Sorbonne à Paris, elle travaille à Bruxelles comme responsable éditoriale aux Éditions Labor et s’active à la création – notamment – d’Espace Nord, collection qui avait entrepris de rééditer les auteurs de la littérature belge. « J’ai quitté le monde de l’édition en 1988 pour rejoindre la brasserie où mon frère Benoît travaillait déjà depuis quelques années. C’était l’époque de l’essor des bières spéciales en Belgique, il y avait de belles perspectives. Mais ce qui était formidable, c’était de revenir chez nous, dans la brasserie où l’on avait passé notre enfance, de perpétuer la tradition familiale et de travailler à l’évolution de l’entreprise. Et puis, la bière est un beau produit de plaisir, convivial, comme le vin et le chocolat, même si le livre l’est aussi. »
Les choses n’ont cependant pas été simples car le monde de la bière évolue en permanence. De 3.200 brasseries au début du XXe siècle, ce nombre a chuté à 120 vers 2010 pour repasser à 340 aujourd’hui avec le phénomène des micro-brasseries. Mais outre l’évolution de la profession, la consommation a elle aussi beaucoup changé. « En effet, on boit de moins en moins de bières en Belgique ; on est passé en 30 ans de 120 litres par an et par habitant à 70 aujourd’hui ! La chute est dramatique, même si le Belge boit aussi d’autres boissons alcoolisées. Les modes de consommation changent également, on boit davantage à la maison plutôt qu’au café ou au restaurant. Les campagnes de prévention y sont pour quelque chose. Des vingt cafés que comptait Le Rœulx autrefois, il n’en reste que trois. Il faut se diversifier, déborder d’imagination, être souple, évaluer les produits, observer les tendances, s’adapter… et toujours garder à l’esprit notre corps de métier. »
« Il faut se diversifier, déborder d’imagination, être souple, évaluer les produits, observer les tendances, s’adapter… et toujours garder à l’esprit notre corps de métier. »
La Grand Cru, « le nec plus ultra »
La brasserie articule aujourd’hui son offre sur trois gammes de produits. Les bières d’abbaye St-Feuillien tout d’abord, avec la Blonde (qui représente 33 % du volume de l’entreprise), la Brune, la Triple, la bière de Noël, auxquelles s’ajoute désormais une Quadruple qui vient d’être mise sur le marché. Les « produits-signatures » ensuite, avec la Grand Cru, la Saison, la Belgian Coast IPA et, ici un tout nouveau produit aussi, la Five, plus légère en alcool (seulement 5 %) destinée à un public plus jeune. Et, enfin, la gamme Grisette, une gamme de bières bio (Blonde, Blanche, Triple et la Grisette Fruits des Bois qui vient tout récemment de basculer en bio).
« La St-Feuillien Grand Cru, lancée en 2011, a vraiment propulsé la brasserie au-delà de sa région et dans l’élégance aussi. C’est un produit très raffiné et pur, on a atteint là quelque chose de l’ordre du champagne de la bière ! La Grand Cru demeure pour moi le nec plus ultra, c’est la bière qui me correspond le plus. Mais j’apprécie beaucoup aussi notre nouvelle création, la Five, qui est un peu sa petite sœur. »
La route de la bière en Europe en chiffres
Chiffre d’affaires 2018
11.500.000 €
Production annuelle 2019
50.000 hl
Investissements 2005-2018
15.700.000 €
Personnel employé en 2019
32 personnes