- La Route de la Bière
Par Alain Voisot
UN BRASSAGE D’IDÉES
Bien caché dans un repli d’une vallée de l’Ardenne liégeoise, en retrait de la route entre Aywaille et Werbomont, au détour d’un virage serré, se trouve un petit manoir blotti au pied d’un escarpement boisé. C’est là que s’est posé, une nouvelle brasserie qui fourmille d’idées.
L'équipe de la brasserie Misery
C’est là, sur la commune d’Aywaille, à Harzée, que Samia Patsalides et Rémy Perée sont venus cacher leur misère. Ce petit manoir a gardé son cachet historique authentique. Le bâtiment d’origine était moins vaste et a été agrandi au milieu du XIXe siècle pour en faire un hôtel thermal. Une source permettait de venir y prendre les eaux. Aujourd’hui, on y déguste de la bière. Au mur d’un salon, quelques photos rappellent que l’armée américaine y a fait étape lors de la bataille des Ardennes. Et avant les Alliés, c’est l’armée allemande qui se servit du bâtiment afin d’y établir son centre de télécommunication.
Inspiré par Stephen King
Samia et Rémy y ont créé une misérable brasserie vraiment originale. Les pauvres hères de la région et les gueux connaisseurs viennent de loin pour y retrouver, pour quelques sous, une collection de bières inspirées de la fusion des influences anglo-saxonnes et des traditions belges. La brasserie est située sur la zone protégée des eaux de Bru, mais elle se fournit en eau auprès du réseau de distribution de Spa, excusez du peu ! Une eau ferrugineuse, évidemment, qu’il faut préparer avant d’y faire un brassin. Faire de la bière avec une eau de source reste un privilège que partagent quelques micro-brasseries de la région de l’est de la Wallonie (la Lienne, la Lupulus, la Chouffe…).
En fait, le nom de Misery a été choisi en référence au roman éponyme de Stephen King, l’auteur américain à succès. Mais c’est aussi l’état dans lequel ce projet a été initié… dans la misère. Voilà sept ans que le chantier occupe Samia et Rémy et ce n’est que maintenant que tout se met en place pour “exister” en pleine crise sanitaire. Le sort s’acharne vraiment, et ce n’est pas pour rire.
Le premier brassin date de juin 2020. A partir de là, treize bières en canette ont été créées durant cette crise sanitaire.
Un parcours nord-américain
Pour faire face aux aléas du destin, Rémy Perée, brasseur de métier, a de solides références. Il est revenu au pays après avoir parcouru l’Amérique du Nord, principalement le Vermont et le Québec (à Montréal et en Gaspésie), afin de perfectionner son expertise. « C’est vraiment au Québec que j’ai appris à préparer l’eau avant de faire un brassin », raconte-t-il. Un parcours étonnant ? Non, l’explication est simple. L’art brassicole y a été importé par les Européens forçant un métissage fécond qui étonne les brasseurs du vieux continent. Les traditions sur celui-ci étant trop cloisonnées pour des raisons d’héritage culturel et commercial, l’Europe ne s’est inspirée de cette créativité que tardivement. Aujourd’hui, la boucle est bouclée. Ce retour sur les terres historiques de l’art brassicole ne peut que valoriser le concept. Ce capital d’image de marque trouve sa consécration lors de la création d’une brasserie fondée par un Belge installé à Fort Collins, au nord de Denver (Colorado). Il a choisi pour nom New Belgium Brewing Company. Ce capital de notoriété de l’art brassicole belge est reconnu au point de devenir un label commercial. Cela vaut des millions de dollars en communication et en “marketing”.
La brasserie est située sur la zone protégée des eaux de Bru, mais elle se fournit en eau auprès du réseau de distribution de Spa, excusez du peu !
Un bar ardennais et une vision internationale
Le principe des micro-brasseries conçues en Amérique du Nord dans les années 90’ inclus souvent un bar de dégustation, voire une taverne dédiée comme en retrouve un peu partout dans les villages et bourgs de Franconie ou à Cologne et Düsseldorf. Cette dynamique a suscité une émulation dans le berceau historique de l’art brassicole (Belgique, Nord de la France, Rhénanie, Franconie et Bohème). La brasserie Misery a adopté ce modèle également, puisque ses bières peuvent être dégustées dans le bar aménagé au sein du manoir.
Samia insiste sur le caractère familial de leur entreprise. « Nous habitons au premier étage du manoir, ce qui donne une ambiance particulière à cette brasserie. Par ailleurs, cette crise a été finalement salutaire. Nous avons rapidement appris à être indépendant, à acquérir une certaine autonomie commerciale. » Et d’ajouter : « Ayant grandi en Californie, j’ai une certaine aisance pour communiquer en anglais. Ce qui nous permet de ne pas rester sur une clientèle exclusivement régionale ou nationale. » Depuis 2017, sur les réseaux sociaux, la communication se fait en anglais et en français. Et 50 % de la clientèle est néerlandophone. Ces amateurs sont plus sensibles aux bières de style anglo-saxonnes.
Misère oblige, il y a des bières en édition limitée inspirées par la saison, les produits de la forêt ou l’humeur du brasseur.
Des bières vieillies en fût
Le premier brassin date de juin 2020. A partir de là, treize bières en canette ont été créées durant cette crise sanitaire. Mais le plan de développement est une gamme d’inspiration anglo-saxonne principalement vieillie au fût et occasionnellement proposée en canette. Ce sont des bières à consommer rapidement.
Mais le fleuron de la brasserie Misery ce sont ses bières de garde vieillies en fût de chêne de vin blanc de Bordeaux ou dans des barriques de chêne américain ayant contenu du Bourbon et dans d’autres provenant de Cognac. Ainsi, 15 à 20 % de la production est proposée sous forme de bouteilles à muselet.
A l’heure actuelle, la production est de 500 hectolitres par an. La gamme de bières comprend des IPA, des stouts, des saisons vieillies en foudre (cuve de chêne) ou en barrique, des pale ales, etc. Misère oblige, il y a des bières en édition limitée inspirées par la saison, les produits de la forêt ou l’humeur du brasseur. Une version unique de l’Imperial Stout est vieillie six mois en barrique de chêne ayant contenu du Bourbon puis du Cognac !
Une brasserie riche en créativité, projets et potentiel de développement international ? Ne cherchez plus, elle est nichée à Harzée, dans un petit manoir, un lieu de misère…
Misery Beer Co
Pouhon 22
B-4920 Harzé
+32 (0) 498 59 10 48
www.miserybeerco.be