- La Route de la Bière
Par Muriel Lombaerts
Alexandre Dumont de Chassart est à la tête de la Brasserie Jandrain-Jandrenouille située dans une ancienne ferme du Brabant wallon depuis 13 ans. Il y brasse aussi bien ses propres bières que celles élaborées sur mesure pour des partenaires professionnels, des particuliers, des associations ou des bars. Avec l’objectif de travailler en circuit-court.
La ferme de la Féculerie, à Jandrain-Jandrenouille (Orp-Jauche), existe depuis le XIVe siècle et a appartenu au Duché de Brabant. A l’origine, il n’y avait qu’un seul bâtiment en moellon de silex mais, au XVIIIe, les lieux ont été remodelés pour former une ferme en carré, typiquement hesbignonne. Alors qu’un beau porche où trône la date de 1762 fait office d’entrée, un logis à double corps établi sur deux niveaux lui fait face, tandis que les ailes latérales abritent les étables sous fenils. Les granges, un puits et une porcherie complètent le tableau. Il s’agissait alors d’une ferme défensive qui ne comportait quasi pas d’ouverture vers l’extérieur. Lors de batailles telles que celle de Ramillies, en 1706, les fermiers s’y réfugiaient après avoir rentré le bétail…
« A l’époque, dans les fermes, on faisait tout et, donc, on brassait déjà, raconte Alexandre Dumont de Chassart. Entendons-nous bien : il devait s’agir d’une grosse casserole dans laquelle on faisait bouillir du grain, moulu ou pas. Une fois la sauce versée dans un tonneau, elle fermentait. C’était deux fois plus rassurant de boire cette mixture que de l’eau. Comme celle-ci avait été chauffée, certains germent mouraient, puis venait la fermentation et enfin l’acidité. Des bières étaient aussi élaborées pour les ouvriers saisonniers. »
De la mécanique au houblon
Né à Ixelles, le 24 août 1969, Alexandre a fait son cursus scolaire à Boitsfort avant de suivre des études d’ingénieur civil en mécanique à l’UCL, d’où il sortit diplômé en 1993. « C’était la crise, comme toujours en Belgique (rire). Je me suis réfugié dans ce qui devait être probablement la meilleure banque : la Générale. J’y suis resté 7 ans, puis j’ai fait un bref passage chez Euronext. Depuis 18 ans, je travaille pour des Américains dans le domaine du houblon et l’import-export. »
C’est en 2004 que le jeune homme décide de racheter la ferme de la Féculerie afin de s’y installer. Tout était encore aux standards du XIXe siècle, avec la présence d’amiante et un sol en béton. Alexandre décide de tout rénover en conservant le charme des lieux et en respectant la structure extérieure et les éléments modernes nécessaires. L’été 2007, avec un camarade d’université, ce passionné de houblon lance le projet de la brasserie.
Des ingrédients locaux à 99%
Aujourd’hui, le propriétaire continue en solo et développe d’autres idées. Depuis 2016, il apporte une dimension supplémentaire à son métier. « Faire de la bonne bière, c’est bien, mais il faut lui amener quelque chose de plus. J’essaie de rentrer en circuit court. L’orge vient d’une ferme de Corroy-le-Grand et il est malté chez Boortmalt, à Gembloux. En fait, 99% des ingrédients sont locaux. Seul le houblon vient des Etats-Unis, il est produit par la société dans laquelle je travaille ». Au niveau de l’énergie, les nonante-six panneaux solaires assurent 80% de l’électricité. « La brasserie avance mais pas à n’importe quel prix : en tentant de donner une composante de durabilité. Deux personnes travaillent à temps plein et nous tenons également à garder une ligne de conduite au niveau social. »
Des bières qui plaisent aux Japonais
En plus de ses propres produits, la Brasserie Jandrain-Jandrenouille élabore des bières pour d’autres partenaires professionnels. Notamment la Uijin et la Uijin Yuzu qui sont en vente dans les restaurants japonais à Bruxelles, Amsterdam, Paris, Londres, Milan ou encore Tokyo ! « Nous avons aussi développé des bières dédicacées à des bars comme, par exemple, le Citizen Kane à Wavre, l’Altérez-vous à Louvain-la-Neuve, le Barnabeer à Namur, le Moeder Lambic ou encore le Roy d’Espagne à Bruxelles. J’adore ce type de collaboration parce que cela me met en relation directe avec le consommateur à travers le bar. Le patron souhaite une bière qu’il n’a pas dans sa gamme et le client choisira d’aller dans un lieu en particulier parce qu’il ne trouvera pas cette bière ailleurs. Ce sont toujours des paris : on sait vite quand il y a quelque chose qui ne va pas, tout comme quand ça marche super bien ».
La brasserie conçoit également des bières pour des particuliers, des associations, des événements, bref, pour ceux qui ne peuvent pas investir dans du matériel onéreux. « Vous pouvez venir brasser votre bière, avec ou sans recette, sur mesure. Seul bémol : je ne travaille pas les bières acides à cause des ferments « sauvages », je risquerais d’infecter le reste de la brasserie ! »
Faire vivre le milieu brassicole
« En travaillant de cette manière, je ne pense pas perdre pas mon âme, poursuit Alexandre Dumont de Chassart. Je veux toujours faire une belle bière pour mes clients et montrer que dans ce domaine, il y a une infinité de recettes. Ce qui m’intéresse, c’est de faire vivre le milieu, d’explorer tous les goûts. Cela permet aussi de ne pas s’endormir sur les mêmes formules. Grâce aux rencontres, nous bénéficions de nouvelles idées. A l’heure actuelle, la brasserie produit 3.000 hectolitres par an, alors que voici 4 ans et demi, nous n’en étions qu’à 180… Je suis occupé à rénover une maison proche de la Grand-Place de Bruxelles, rue de la Fourche. Ce sera une « tap house » (débit de boisson, ndlr) pour notre brasserie. En 2020, nous pourrons nous amuser à créer de nouveaux produits conventionnels ou décalés et, pourquoi pas, mettre des bières de nos clients à l’honneur si cela en vaut la peine. D’autres bars suivront peut-être... ».
Une gamme de 4 bières
-La IV Saison est la première bière, lancée en 2006. Blonde non filtrée, non pasteurisée et refermentée en bouteille, elle est élaborée à partir des quatre ingrédients de base (eau, malt, houblon, levure) avec quatre houblons différents. « La IV Saison a été élue coup de cœur du label La Bière des Femmes et associée à un album rock du groupe namurois « The Banging Souls » pour son titre « Seeds » avec BJ Scott, la coach de The Voice Belgique. Un honneur ! »
-La V Sens est apparue peu de temps après. La complexité est exprimée grâce aux trois malts différents : Caramel, Munich, Pils. C’est une bière naturelle ambrée, 100% malt d’orge, non filtrée, non pasteurisée et refermentée en bouteille. « Le fromager « A table », à Hannut, affine/lave un de ses fromages à la V Cense. »
-La IV Wheat est née juste après la V Sens. C’est une bière de froment, une base blanche mais sans épices. Cette bière naturelle, mélange de malt de froment et d’orge est non filtrée, non pasteurisée et refermentée en bouteille. Elle offre une grande fraîcheur en bouche, combinée à l’arôme des houblons utilisés.
-La III Gravity, pour ne pas dire « triple », est née suite à une commande aux Etats-Unis. Elle est beaucoup plus riche (en alcool, en houblon…).
Brasserie de Jandrain-Jandrenouille
Rue de la Féculerie 34
B-1350 Jandrain-Jandrenouille