- La Route de la Bière
Par Alain Voisot
Ça sent la bière de Londres à Mons !
Greg Piotto et Lars Riis ne manquent pas d’ambition. Ils ont décidé de faire revivre une ancienne brasserie montoise afin d’y produire une bière qui ne pourra pas cacher ses origines : la Belgica.
La crise historique que nous vivons n’empêche pas de jeunes entrepreneurs de libérer leur enthousiasme et leur dynamisme. A Mons, Greg Piotto et Lars Riis n’ont pas eu peur de se jeter à l’eau afin de tenter de remettre à flots l’antique Brasserie de Londres dont l’origine date de 1455. Leur pari ? Lancer une nouvelle gamme de bières sur un marché brassicole hypertrophié par la multitude de nouvelles microbrasseries. En attendant la fin des travaux de rénovation du bâtiment avenue Frère Orban, sur le boulevard périphérique intérieur de la ville, ils produisent leurs nouvelles bières Belgica à la Brasserie La Binchoise.
L’objectif du duo Lars Riis et Greg Piotto est de produire chaque année un million et demi de bouteilles destinées à l’exportation. |
« C’est une brasserie avec laquelle je collabore depuis 2010, explique Greg. En tant que zythologue passionné, j’ai accompagné la création de différentes bières dont La Montoise ». C’est tout naturellement que ce gille de Binche, par ailleurs fondateur du site Internet LesBieresBelges.be, s’est accordé avec le Belgo-Danois Lars Riis, un autodidacte parlant cinq langues et, surtout, un entrepreneur créatif émulsionné par un enthousiasme communicatif. Dans leur association, Greg prend en charge la conception, le marketing, la recherche de partenaires, alors que Lars s’investit dans la prospection internationale et la gestion de l’outil de production. Les deux hommes sont soutenus par de nombreux partenaires, dont le très populaire Massimo Falasca, Monsieur Montoise, et le bien connu Christophe Vanneste, qui les a toujours encouragés à brasser eux-mêmes leurs bières à Mons.
Une bière destinée à l’exportation
« En rénovant cette ancienne brasserie, l’idée est de faire renaître une page de l’histoire de la ville de Mons, confirme Lars Riis. Cette légitimité historique porte en avant un concept qui est crédible à l’exportation, d’où le nom Belgica qui mise sur l’évidente image de marque des arts brassicoles dans notre pays ». La nouvelle brasserie produira donc les bières de la collection créée par Greg, soit cinq bières spéciales de haute fermentation, refermentées en bouteille et non filtrées, les Belgica blonde (6,2°), brune (7,7°), triple (8,5°), red (7°) et wheat (4,5°, bière de blé), ainsi que la Montoise et la Trinité qui sont des classiques bien connues des Montois.
Comme le précise Lars, l’objectif du duo est de produire chaque année un million et demi de bouteilles destinées à l’exportation : « Nous ne souhaitons pas rester captifs sur le marché belge qui est déjà surencombré. Le nom de la collection affiche bien nos intentions. L’un de nos points de départ est le Danemark avec lequel j’ai des liens personnels. Ce n’est pas un gros marché, mais c’est une ouverture vers l’Europe du Nord ».
Un budget de plus de deux millions d’euros
Pour mener à bien leur projet, les associés peuvent compter sur une assise financière de plus de deux millions d’euros ; ce qui n’est pas superflu compte tenu de l’ampleur des travaux de rénovation des anciens bâtiments. En raison de la pandémie, ceux-ci ont toutefois souffert d’un retard conséquent. Greg Piotto : « Nous avions rendez-vous chez le notaire le 19 mars 2020, mais le 12 nous avons appris qu’en raison du coronavirus le confinement général allait être décrété à partir du 18 mars !… » A partir de ce moment, tout le monde a pris du retard. Mais les travaux avancent et ils devraient être entièrement terminés fin 2023. En attendant, la production se poursuit à Binche. Lars Riis : « Nous assurons la distribution nous-mêmes et nous sommes présents en direct dans les grandes enseignes du pays ».
La gamme Belgica comprend cinq bières spéciales :
- Belgica blonde (6,2°)
- Belgica brune (7,7°)
- Belgica triple (8,5°)
- Belgica red (7°)
- Belgica wheat (4,5°, bière de blé)
Une “Brexit Beer” ?
Tant qu’à faire référence à l’Angleterre, pourquoi ne pas surfer sur l’actualité ? Imaginez le coup de marketing et médiatique qui consisterait à exporter au Royaume-Uni une “Brexit Beer” produite par la Brasserie de Londres à Mons ! Ce serait une bière noire, bien amère. « You will drink it to the dregs » (« Vous allez la boire jusqu’à la lie ! »). Nous l’avons suggéré, en guise de boutade, à nos deux compères et, à notre grande surprise, ils semblent avoir été séduits : « Merci pour l’idée. Nous allons nous en occuper dès le début de l’année prochaine afin de la sortir pour le 23 juin, en référence à la date du référendum britannique sur le Brexit le 23 juin 2016 ». Chiche ?
L’alliance anglo-bourguignonne sous Philippe le Bon
Selon les archives de la Ville de Mons, le bâtiment de l’actuelle avenue Frère Orban, avec sa salle voûtée du XIVe siècle, aurait été affecté, en 1455, à une “Brasserie de Londres”, faisant ainsi de celle ville le berceau de la première brasserie “intramuros” du Hainaut. Mais d’où lui vient cet accent londonien ?
L’explication serait liée à la puissance du Duché de Bourgogne qui, depuis le mariage de Philippe le Hardy avec Marguerite de Flandre en 1369, n’allait cesser de s’agrandir en annexant outre la Flandre, l’Artois, la Picardie, le Hainaut, le Brabant, la Hollande, le Zélande, la Frise…, et former ainsi un puissant bloc contre la France de Louis XI. Au XVe siècle, sous le règne de Philippe le Bon, ce duché avait quasi atteint son apogée. « Les alliances géopolitiques du Hainaut avec la Bourgogne, elle-même liée à l’Angleterre, pourraient expliquer l’origine de la dénomination de cette brasserie, choisie pour flatter le partenaire majeur de cette alliance entre Dijon et Londres », explique Greg Piotto.
Le Pont de Londres au-dessus de la Trouille
Face à cet alibi historique, l’évidence de la légitimité de cette brasserie s’appuie sur l’existence d’un Pont de Londres, construit en 1463 pour franchir la Trouille. Cette rivière traversait alors la partie sud de Mons, tandis qu’un petit port et un marché aux poissons étaient situés à une centaine de mètres de la brasserie.
L’histoire des lieux est intéressante, mais existe-t-il des documents, des archives racontant les péripéties de cette brasserie, ainsi que les recettes de ses bières ? « Non, aucune trace, répond Greg. Mais si l’on en croit d’autres archives existantes ailleurs, il apparaît qu’à l’époque la bière devait avoir l’aspect d’un porridge liquide ou d’une soupe de céréales ».
Le quartier a bien changé depuis lors. La Trouille a d’abord été canalisée et déviée en 1870, puis recouverte en 1964. Quant au bâtiment, il servit d’entrepôt, au XIXe siècle, à une importante brasserie de la région. Jusqu’en 1934 et l’ouverture d’un garage, où l’huile de vidange s’est mise à couler en lieu et place de la bière. Guère plus appétissant que le porridge ! Il était temps qu’une brasserie digne de ce nom réinvestisse les lieux…
Au XIXe siècle, le bâtiment servit d’entrepôt à une importante brasserie de la région. En 1934, il se transforma en garage, où l’huile de vidange s’est mise à couler en lieu et place de la bière. Il était temps qu’une brasserie digne de ce nom réinvestisse les lieux…