- Économie
- / Talents
Par Maaike van Eijk
Digital Graphics remporte le Prix AWEX 2011 : une récompense 3D amplement méritée !
La révolution industrielle a commencé tôt en Wallonie. Alors que les Pays-Bas, par exemple, ont pris le train en marche dans la seconde moit ié du XIXe siècle , les Wa l lons s’affairaient déjà dès 1800. Et de la même manière, la révolution numérique n’a pas oublié la Wallonie. WAW avait déjà pris plus tôt la plume pour présenter des pionniers du high- tech tels qu’EVS et NeuroTV. Nous pouvons aujourd’hui ajouter à cette liste la société Digital Graphics. Ce studio de cinéma, petit mais combien innovant, de la région liégeoise – dans la bourgade d’Alleur plus précisément – vient d’être distingué par l ’AWEX, l ’organi sat ion wa l lonne à l’exportation, pour sa technologie 3D révolutionnaire.
Le prix a été décerné lors de la troisième édition du 3D Stereo Media à Liège. Ce festival du film en relief, qui englobe tous les aspects du film en trois dimensions, se veut une plate forme, tant pour les réalisateurs que pour les investisseurs et les scientifiques. Outre une conférence assortie d’ateliers pour les professionnels et un festival international du film en 3D, un marché du film permettait également aux financiers et aux réalisateurs de se rencontrer et une conférence scientifique était organisée. À peine trois ans après sa première édition, le festival, unique en Europe, fait autorité dans le monde entier.
Au milieu de cette compagnie internationale de professionnels, d’investisseurs et de scientifiques de l’industrie du divertissement high-tech, Digital Graphics a reçu le Prix AWEX 2011 des mains de Philippe Suinen, son administrateur général. À travers ce prix, l’Agence wallonne à l’Exportation et aux Investissements étrangers veut récompenser le travail d’une entreprise locale qui a su démontrer une ambition et un talent dans le domaine des technologies 3D innovantes. Le prix encourage ainsi les entreprises qui sont actives dans les produits créatifs et inventifs pour le marché étranger et exportent activement leur savoir-faire. Il s’agit là d’une formidable récompense pour une entreprise qui, dès 1994, avant même la vague déferlante de l’internet, s’est lancée dans des techniques d’imagerie numérique.
Il s’agit là d’une formidable récompense pour une entreprise qui, dès 1994, avant même la vague déferlante de l’internet, s’est lancée dans des techniques d’imagerie numérique.
Digital Graphics est spécialisée dans la création d’animations 2D et 3D et d’effets spéciaux numériques pour le cinéma et la télévision. Elle développe également un logiciel sur mesure et des outils de gestion de production. « Nous sommes naturellement très honorés par cette distinction », se réjouit Marc Umé, cofondateur et directeur général de Digital Graphics. « Nous avons pu observer en 2011 une forte hausse des exportations, combinée avec le maintien de la croissance technologique des années précédentes. Malgré notre vaste expérience de l’exportation vers des pays voisins comme la France, le Luxembourg, l’Allemagne, l’Angleterre et l’Irlande, l’accès au marché chinois représentait un défi à la fois culturel, technologique et professionnel que nous avons relevé avec succès. Le jury y a certainement été sensible. »
Stéréoscopie
Les films en 3D existent déjà depuis le début du siècle dernier, bien avant le développement des premières techniques cinématographiques numériques. En combinant deux simples images bidimensionnelles légèrement décalées l’une par rapport à l’autre, on crée dans le cerveau une illusion de profondeur. Cela peut sembler étrange mais on imite ainsi précisément ce que nos yeux voient : deux images distinctes à partir de deux perspectives qui diffèrent à peine. Le cerveau fusionne ensuite les deux images pour n’en former qu’une seule en profondeur.
Les films les plus modernes comprennent une forme d’animation numérique, qui est ajoutée à l’image après le tournage.
Ce processus est appelé la stéréoscopie, du mot grec ancien signifiant « voir » (par exemple, « télescope » signifie littéralement « voir loin »). On pourrait s’attendre à ce que stéréo signifie « deux » ou « double », à l’image des prises de son mono et stéréo. Mais non, le terme signifie « fort » ou « solide ». L’image tridimensionnelle semble plus forte, plus solide, qu’une reproduction plane en deux dimensions. La technique a été appliquée pour la première fois en 1838 par le physicien britannique Sir Charles Wheatstone. Avec des dessins, car la photographie n’était alors pas suffisamment développée.
La technique de la 3D
Il est relativement simple de réaliser deux photos ou dessins dont la perspective ne diffère que très légèrement, de sorte que le cerveau les interprète comme une seule image en profondeur. L’opération se complique avec des images de film. On a alors besoin de deux écrans de cinéma, l’un pour l’oeil gauche et l’autre pour l’oeil droit. Il faut en outre empêcher que l’oeil gauche puisse voir l’écran destiné à l’oeil droit, et inversement. La solution imaginée à cette fin est aussi simple que brillante. À l’aide d’une caméra spéciale, dont les objectifs sont placés côte à côte tout comme nos yeux, deux films sont tournés simultanément. Les deux films sont ensuite projetés l’un sur l’autre. Le spectateur regarde les films ainsi projetés à l’aide de lunettes spéciales dont les verres sont colorés en rouge et en cyan. Le verre de couleur rouge ne laisse passer que le rouge, tandis que le verre cyan laisse au contraire filtrer tout sauf le rouge. Dans le cerveau, les deux flux de couleurs sont combinés pour former une image mobile en profondeur.
On utilise également actuellement, à la place du rouge et du cyan, du bleu et du jaune ou de l’ambre. Aujourd’hui, entre 7 et 10 % d’hommes souffrent d’une forme de daltonisme qui ne leur permet pas d’observer l’illusion de profondeur dans ces images. Une technique comparable utilise dès lors la lumière polarisée, tout comme pour les lunettes de soleil. Ici, la couleur n’est pas filtrée mais certains rayons de lumière sont bloqués par le verre gauche des lunettes, que laisse au contraire filtrer le verre droit, et inversement. Aux deux verres de lunettes correspondent deux nouvelles images de film qui sont fusionnées par le cerveau.
De la 2D à la 3D
Les films les plus modernes comprennent une forme d’animation numérique, qui est ajoutée à l’image après le tournage. Pour les films en 3D, l’opération est double. Il faut créer pour chaque flux d’images une variante dans une autre perspective. Par exemple, les célèbres superproductions ‘Avatar’ en ‘Transformers: Dark of the Moon’ ont été filmées à l’aide de caméras 3D spéciales, puis dotées d’une animation informatisée en 3D. Vu l’énorme succès de ces films, nul ne sera étonné d’apprendre que l’animation informatisée est également utilisée pour convertir des images de film 2D en film 3D. C’est a insi que le méga succès ‘Alice in Wonderland’ a également été diffusé en 3D. Le moins qu’on puisse dire, c’est que la conversion n’est pas bon marché : environ 100 000 $ (presque 80 000 €) par minute de film.
On entend ici et là des critiques sur la conversion de films 2D en 3D. Dans une interview accordée au blog de cinéma Deadline.com, Michael Bay, le réalisateur de Transformers 3 : La Face cachée de la lune, déclarait : « Je filme des choses complexes, j’utilise des éléments authentiques dans mes scènes d’action et, pour ma part, je ne suis franchement pas fan de la conversion de films. » Dans cette même interview, le réalisateur d’Avatar, James Cameron, exprimait également ses réserves. « Après Toy Story, il y a eu dix très mauvais films d’animation informatisée, car tout le monde pensait que le succès du film était dû à l’animation numérique et pas à ses personnages magnifiquement conçus et irrésistibles. Maintenant, on voit que tout le monde s’empresse de convertir des films 2D en 3D, mais ce n’est pas ce que nous avons fait. Ils espèrent le même résultat, mais en réalité, c’est le succès même de la 3D qu’ils mettent en danger en diffusant un produit inférieur. » Ces propos datent de 2010. Entre-temps, James Cameron a décidé, lui aussi, de convertir son mégasuccès Titanic en 3D.
Comment évolue Digital Graphics dans ce bel univers ? Les techniques innovantes de la société wallonne ont contribué à la réalisation du tout premier film d’animation en 3D. Rappelez-vous, il s’agissait du long métrage Little Big Panda du réalisateur Greg Manwaring, explique Marc Umé. « Ce film d’animation a été à l’affiche de plus de 3 000 cinémas 3D en Chine. C’est le premier long métrage animé en 3D stéréoscopique au monde. À cette occasion, nous avions spécialement développé une nouvelle technologie en régie. Quelque 35 dessinateurs et graphistes ont travaillé pendant huit mois sous notre supervision à la conversion de la 2D en 3D. »
Deux frères
Les deux frères, Marc et Serge Umé, ont créé Digital Graphics en 1994. L’un était ingénieur aérospatial, l’autre architecte. C’est peut-être difficile à imaginer mais, à l’époque, peu de bureaux d’architectes étaient bien rodés au travail informatique. Les frères ont saisi leur chance et réalisé des dessins informatisés et autres visualisations tridimensionnelles des plans de bureaux d’architectes. Très vite se sont ajoutées des missions pour des courts métrages et des documentaires télévisés. En 1999, ils produisent Magic Nightmare, leur premier court métrage, qui leur vaut différents prix. À dater de ce jour, les deux frères vont quasi exclusivement se consacrer au cinéma.
La soif d’innover ne s’est cependant pas limitée aux productions auxquelles Marc et Serge ont collaboré. Lorsqu’il est apparu que les outils logiciels courants ne suffisaient plus, ils ont développé leur propre logiciel, qu’ils peuvent adapter aux exigences du projet qui les occupe. « Chaque film utilise de nouvelles applications logicielles graphiques, nous innovons donc pour pouvoir les anticiper. Par exemple, le coloriage d’images d’archives en noir et blanc a été rendu possible par un ajustement de notre précédent algorithme utilisé pour mettre en couleur des dessins animés. » Marc fait ici référence au film 14-18, le bruit et la fureur, de Jean-François Delassus. Ce documentaire historique sur la Première Guerre mondiale a attiré un nombre record de visiteurs en France. « Nous étions chargés de restaurer des documents de guerre en noir et blanc et les avons coloriés sur la base de données historiques », explique Marc. « Pour un autre film d’animation, les images devaient créer l’illusion d’une aquarelle qui prend vie. Pour ce projet, nous avons réécrit nos programmes logiciels afin de mieux exploiter la puissance de calcul des processeurs graphiques, avec pour conséquence une vélocité multipliée par plus de 500. »
Nomination aux Oscars
Autre temps fort selon Marc, le film Brendan et le secret de Kells du réalisateur Tomm Moore. « Ce film a été nominé aux Oscars en 2010 dans la catégorie du meilleur film d’animation. Nous avions développé pour ce projet des techniques graphiques très spécifiques et largement contribué au coloriage et à la composition des images. Nous avions également réalisé le clip du film pour les Oscars. »
Le Prix AWEX est une belle récompense de plus, mais certainement pas le point final. Les frères s’attellent d’arrache-pied aux défis suivants : « En plus de conserver notre position dans le domaine des effets spéciaux, où notre réputation n’est plus à faire, nous voulons nous profiler davantage sur le marché asiatique, où il existe une forte demande de contenu, ainsi que sur le marché américain, où les exigences de qualité sont très élevées. Nous sommes actuellement en discussion avec un grand studio de cinéma hollywoodien. » C’est clair, la Wallonie n’a pas manqué le train de la révolution numérique !
Renseignements
info@digitalgraphics.be
www.digitalgraphics.be
Little Big Panda
Long métrage d’animation, de Greg Manwaring
Dans la majestueuse région montagneuse chinoise, la survie des pandas est mise en danger car le bambou devient rare et les hommes étendent de plus en plus leur habitat. La paresse étant une des caractéristiques des pandas, quelqu’un est nécessaire pour réveiller la communauté. Manchu, avec l’aide de ses amis, résistera à tous les assauts.
Flash-Back sur les productions 2011
• Ernest & Célestine
• Bona Nox
• Tot Altijd
• The Incident
• Un spectacle interrompu
• Mort d’une Ombre
• La Garde-Barrière
Deux films pour lesquels Digital Graphics a travaillé ont eu un prix aux derniers Magritte du Cinéma :
• Meilleur film étranger :
Les Émotifs Anonymes, de Jean-Pierre Améris
• Meilleur décors :
Quartier Lointain, de Sam Garbarski