- Star Waw
Par Christian Sonon
UN GUÉPARD SUR LA ROUTE D’HAWAÏ
Sacrée championne du monde de triathlon longue distance, au printemps, à Pontevedra (Espagne), Alexandra Tondeur veut briller en 2020 à l'Ironman d'Hawaï. Vu les capacités et le courage de la Stéphanoise, il n'y a pas de raisons qu'elle n'aille pas jusqu'au bout de son rêve.
Son entourage l’a surnommé « cheetah » (guépard) depuis l’Ironman de Lanzarote. Si vous habitez la région de Court-Saint-Étienne, vous avez peutêtre aperçu sa crinière blonde sur le RAVeL de Nivelles ou de Gembloux, précédée par sa maman qui lui ouvre la route à vélo. Ne vous fiez pas à son doux visage car il masque un tempérament d’acier ! Alexandra Tondeur est une triathlète professionnelle qui a choisi l’épreuve sportive sans doute la plus éprouvante qui soit, tant physiquement que mentalement. Mais rien n’y personne ne l’empêchera d’enchaîner les kilomètres de natation, vélo et course à pied. Elle a appris à maîtriser la souffrance et abandonner ne fait pas partie de ses plans. Portrait d’une jeune femme qui sait où elle va.
Alexandra, comment es-tu venue au triathlon, une discipline sportive extrêmement dure ?
Au départ, je rêvais de devenir cavalière professionnelle. J’ai commencé l’équitation à l’âge de trois ans, mais j’ai également pratiqué le tennis de table, le tennis et l’athlétisme. Encouragée par mon père qui était militaire de carrière, je passais toutes mes vacances à faire des stages sportifs. Quand j’ai commencé mes études en éducation physique, je me suis davantage orientée vers la course à pied, discipline dans laquelle j’étais vraiment forte au contraire de la natation. Et puis, un jour, j’ai vu un reportage sur l’Ironman d’Hawaï, ça m’a boosté : j’ai décidé que c’était ce que je voulais faire.
Tu as rapidement réussi à t’affirmer dans ce sport mais, début 2012, ton rêve se brise en raison d’une blessure…
Ce n’était pas une blessure. C’est un surentraînement qui a provoqué un virus au niveau des nerfs de l’épaule, d’où un problème de mobilité. On m’a dit que ma carrière était terminée. J’ai donc commencé à travailler comme assistante à l’UCL tout en me rabattant sur des courses cyclistes et des duathlons. Fin 2012, ne voyant pas d’amélioration, j’ai voulu tout arrêter. C’est ma mère et mon entraîneur de l’époque qui m’ont encouragée à continuer. J’ai alors décidé de me soigner et de m’entraîner pour les longues distances, car c’est cela qui m’intéressait. Mais j’avais pris 15 kilos et quasi plus personne ne croyait en moi. Il m’a fallu deux années pour revenir à un niveau correct à force de caractère. En 2015, j’ai recommencé à gagner des courses. En période moyenne, je m’entraîne environ quatre heures par jour et je poursuis, en soirée, par des séances de stretching et de kiné pour mon épaule. En période de stages, afin de préparer les grosses compétitions, je travaille de 6 à 10 heures par jour.
Es-tu d’accord avec cette parole d’Aristote : « L’excellence est un art que l’on n’atteint que par l’exercice constant » ? L’entraînement est-il la clé de ton succès ?
(Elle hésite) En partie en tout cas. Jusqu’il y a une dizaine d’années, avoir du talent était suffisant. Aujourd’hui, le niveau chez les pros est devenu si élevé qu’il faut beaucoup de talent mais aussi d’intelligence dans l’entraînement. Il faut sans cesse chercher les faiblesses et les combattre les unes après les autres. C’est ce que j’essaie de faire puisqu’aujourd’hui je suis mon propre entraîneur (ndlr : elle a été entraînée par le préparateur Yves Devillers en 2015-2016 et par le triathlète Luc Van Lierde en 2016-2017), tout en étant assistée sur le plan médical et diététique par SportS2, l’équipe sportive du CHU de Liège.
Ton point fort, c’est la course à pied, mais tu affectionnes également les circuits vélo incluant de forts dénivelés…
Oui, je suis une grimpeuse. J’ai fait beaucoup de VTT auparavant et j’habite une région vallonnée. Je n’hésite pas à partir m’entraîner dans les Vosges ou dans les Alpes. Cet été, j’ai participé au triathlon longue distance de l’Alpe d’Huez où il y avait quatre cols à franchir en vélo (elle a terminé 3e, NDLR), avant d’enchaîner avec l’Embrunman, l’un des triathlons les plus durs au monde qui inclut un parcours vélo de 188 kilomètres passant par le col de l’Izoard et présentant près de 5 000 mètres de dénivelés positifs ! Je me suis classée 3e de ces deux courses.
Ce sport demande des qualités physiques mais aussi mentales. Le fondateur de l’Ironman a dit : « Abandonne si tu veux, personne ne s’en souciera. Mais tu t’en souviendras pour le restant de tes jours ! » As-tu déjà été sur le point d’abandonner ?
Au moins deux fois par an. Le circuit professionnel est si élevé que si un jour tu as une faiblesse et que tu vois que devant ça file et que c’est foutu pour un bon résultat, tu penses forcément à arrêter. Mais cela ne m’est arrivé qu’à deux reprises : en 2017, parce que j’avais crevé deux fois et, en 2018, parce que j’étais malade et que l’on m’a forcée à arrêter.
Tu es professionnelle. Comment te débrouilles-tu financièrement ?
J’ai un contrat d’employé à l’Adeps. Et j’ai différents sponsors publics et privés. La plupart me fournissent en matériel, mais je bénéficie aussi d’aides financières. Je reçois aussi des primes lors des compétitions qui peuvent varier de 500 à 10 000 dollars. L’argent va sur le compte d’une asbl que j’ai créée et qui finance mes déplacements, mes séances de kiné, etc.
Tu as dit que le triathlon longue distance n’était pas encouragé en Belgique. Peux-tu préciser ?
Les gens veulent des champions mais ils ne sont pas prêts à faire des efforts pour les aider dans leur quête de podiums. Le plus gros problème en Wallonie ce sont les piscines. Les athlètes ont plusieurs fois demandé aux responsables politiques qu’un couloir leur soit réservé selon un horaire précis, mais ils n’ont pas été entendus jusqu’aujourd’hui. Je suis donc obligée de nager – NDLR : elles s’entraîne à Nivelles – avec le public, parfois même à côté des gens qui ne savent pas nager ! En vélo, nous sommes confrontés à un dilemme : rouler sur les pistes cyclables, dont l’état général est souvent lamentable, ou opter pour la route, où nous ne sommes pas respectés par certains automobilistes qui nous frôlent à vive allure ! C’est l’une des raisons – l’autre étant la météo – qui me pousse à partir m’entraîner en Espagne.
Tu as déjà pris part deux fois à l’Ironman d’Hawaï. Ton rêve ultime c’est de remporter cette épreuve mythique ?
Ouf ! Le niveau est si élevé… Mon objectif serait d’intégrer un jour le top 5, que ce soit l’année prochaine ou dans cinq ans. Mais je ne pense pas pouvoir le faire chaque année, car cela nécessite un budget énorme, de l’ordre de 20 000 euros. Si l’on veut bien se préparer et bien s’acclimater, il faut être présent six semaines minimum sur place. Le logement coûte très cher, mais il faut aussi compter le trajet en avion, pour moi, pour mon vélo et pour – au minimum – mon kiné. En 2016, j’ai eu la chance de pouvoir m’acclimater pendant un mois dans ma famille en Caroline du Nord, mais en 2017, quand je suis partie avec ma maman, nous n’avions pu loger qu’une semaine sur place. C’était très insuffisant et cela s’est très mal passé car j’ai eu, en outre, un problème avec mon plan alimentaire. J’ai été malade sur le vélo de sorte que je suis arrivée déshydratée pour la course à pied, ce qui m’a forcée à faire les 32 derniers kilomètres en marchant. Le pire moment de ma vie, je crois !
Quel est ton rapport à l’environnement ?
J’adore la nature, c’est sûr, et je la respecte. Durant les triathlons, tout est désormais règlementé, on ne peut pas jeter ses bidons et emballages divers n’importe où mais dans des zones de déchet prévues à cet effet. Au niveau de mon alimentation, je suis sponsorisée lors des compétitions par une marque flamande qui me fournit exclusivement en produits bios. Et chez moi, je suis de plus en plus attentive à la provenance des aliments. Mais j’avoue que j’ai quelques péchés mignons : j’adore le chocolat, les pâtes et le bon pain. En revanche, je ne bois jamais d’alcool
As-tu une autre passion que le triathlon ?
Je suis ultra passionnée par le monde animal. J’aime toutes les espèces, sauf peut-être les reptiles (grimaces). Je voulais devenir vétérinaire à 10 ans. À la maison, nous avons adopté deux chats et quatre chiens, et j’ai quatre cochons d’Inde. C’est aussi cette passion qui m’a poussée à verser parfois mes primes à l’asbl Sans Collier, à Perwez.
Tu es une personne sensible et engagée ?
Je crois que cela fait partie de mon rôle d’athlète. J’essaie de mettre le peu de popularité que j’ai au service des gens qui en ont besoin. Je suis la marraine de Marmot’Life, à Ottignies, une asbl qui soutient les personnes narcoleptiques, c’est-à-dire qui souffrent de troubles du sommeil. Je cours parfois pour eux, comme je l’ai fait cette année au semi-marathon de Namur.
Tu prends également sur ton temps pour initier des jeunes…
Oui, depuis la fin de mes études j’entraîne des jeunes, des moins jeunes, des débutants et des athlètes confirmés. En outre, fin 2018, j’ai créé mon propre team dans le but d’aider et d’encadrer quelques talents wallons âgés de 16 à 21 ans à progresser vers le haut niveau
Quels sont tes endroits préférés en Wallonie ?
J’aime beaucoup la région namuroise. Je suis allée rouler dernièrement dans la région de Gesves et j’ai trouvé ça très sympa. J’aime également la vallée de la Molignée et les lacs de l’Eau d’Heure. C’est très agréable de s’entraîner autour des lacs. J’ai déjà d’ailleurs gagné plusieurs fois le triathlon qui s’y court en juin.
Bio Express
Née le 20 mars 1987.
Vit à Orp-Jauche (Brabant wallon) jusqu’à ses 18 ans.
Etudes d’éducation physique à l’UcL (Louvain-la-Neuve).
2007
Premiers triathlons, premières victoires en Belgique
2008
Première victoire internationale au triathlon de Gérardmer (France)
2010
Championne de Belgique élites ; devient professionnelle (contrat Adeps)
2011
Un problème de mobilité à l’épaule l’oblige à se rabattre sur les duathlons et les courses cyclistes
2013
Rreprend les triathlons et s’oriente vers les longues distances
2015
Remporte l’Ironman 70.3 à Belek (Turquie)
2018
Championne d’Europe du triathlon moyenne distance à Ibiza (Espagne).
La Région wallonne lui octroie la distinction de « Chevalier du Mérite wallon ».
2019
Championne du monde du triathlon longue distance à Pontevedra (Espagne)