- Dossier
Par Admon Wajnblum
Une grande partie de notre patrimoine bâti contient du bois : charpente, châssis, lambris, parquet, marqueterie, mobilier, etc. La restauration de ces éléments du patrimoine nécessite le recours à des artisans très spécialisés. Malheureusement, ils ne courent pas les rues. Et, pour tout dire, on en trouve de moins en moins. Ils existent pourtant. Partenaire du « Village des artisans du bois », le Centre de la Paix-Dieu est un acteur incontournable en ce qui concerne la pérennisation de ces inestimables savoir-faire. Ce centre est dirigé depuis 2006 par Anne-Françoise Cannella dont toute la vie professionnelle est placée sous le signe du respect et de la sauvegarde du patrimoine.
Installé dans une ancienne abbaye cistercienne d’ordre féminin, ce qui vaut parfois à Anne-Françoise Cannella le surnom de « Mère-Abbesse », fondée au XIIIe siècle, à Amay, en Province de Liège, le Centre de la Paix-Dieu, qui dépend de l’Institut du Patrimoine wallon (IPW), assure la transmission des savoir-faire en matière de patrimoine architectural via de multiples formations, distribue des bourses de perfectionnement et organise des classes d’éveil aux métiers du patrimoine. Avant d’assurer la direction de la Paix Dieu, Anne-Françoise Cannella a eu l’occasion de se confronter à la préservation du patrimoine tant au cours de ses études que de ses premières expériences professionnelles.
Sa licence en Histoire de l’Art de l’Université de Liège en poche, elle rejoint l’asbl Qualité Villages Wallonie qui met son savoirfaire au service de particuliers ou de groupes villageois qui souhaitent initier des projets autour du patrimoine bâti, naturel, historique et folklorique. Dans ce contexte, Anne- Françoise Cannella travaille… sur le respect et la sauvegarde du patrimoine des collectivités. Un exemple de constance, disait-on.
Après cette première expérience, elle a l’opportunité de travailler pendant 4 ans au Centre d’Histoire des Sciences et des Techniques de l’Ulg où elle collabore, entre autres choses, au projet Secrets des Arts & Métiers qui lui donne l’occasion d’étudier des manuscrits de « recettes » pour les techniques anciennes. « Pour reconstituer une technique ancienne, le chercheur dispose de différentes sources et de différentes méthodes. Les analyses de laboratoire sont aujourd’hui indispensables pour une compréhension optimale des oeuvres ou des techniques abordées. L’étude des sources techniques écrites ne bénéficie pas d’une telle reconnaissance. Elle se révèle pourtant très enrichissante. Dans tous les cas, littérature et analyses sont deux approches complémentaires. Située au carrefour des sciences historiques et des sciences de la matière, cette démarche s’inscrit dans le domaine de l’archéométrie. Il s’agit de confronter les sources écrites, en l’occurrence les recettes anciennes, aux données du laboratoire concernant les oeuvres d’art », insiste Anne-Françoise Cannella.
Au terme de cette mission de longue haleine, elle obtient une bourse du FNRS (Fonds de la Recherche Scientifique) pour réaliser son doctorat, lequel porte sur l’étude des fausses pierres précieuses à travers l’analyse d’un ouvrage inédit, le quatrième livre du trésorier de philosophie naturelle des pierres précieuses du chroniqueur liégeois, Jean d’Outremeuse (fin du XIVe siècle).
La Paix-Dieu en configuration européenne
Devenue docteur en histoire de l’art, Anne- Françoise Cannella, férue de recherches et de travail d’analyses, se verrait bien poursuivre ses travaux à l’Université de Liège, « mais avec trois enfants à charge, ça devenait difficile… ». Comme le hasard fait bien les choses (la flatteuse réputation dont elle jouit dans les cénacles académiques n’y est sans doute pas pour rien non plus), l’Institut du Patrimoine Wallon la sollicite et elle est engagée courant 2003 pour réaliser la rédaction d’un Guide des monuments classés.
Après quoi, elle constitue, pour l’IPW, une bibliothèque entièrement dédiée aux techniques et métiers à destination des propriétaires privés et des artisans. Et, en 2006, on lui conf ie la direction du Centre de perfectionnement aux métiers du patrimoine de la Paix-Dieu. Un nouveau défi qu’Anne-Françoise Cannella relève avec plaisir. « Ça impliquait bien sûr un gros volet administratif et de gestion des ressources humaines (la Paix- Dieu emploie tout de même 14 personnes). Ce qui était nouveau pour moi. Mais cette fonction me permettait de rester en contact avec les formateurs et, surtout, de voyager pour voir ce qui se fait ailleurs. J’ai ainsi pu nouer des contacts internationaux qui ont fait connaître la Paix- Dieu à l’étranger et permis de croiser et d’enrichir les expériences. »
Le bois est un matériau non seulement beau, mais également durable. Or, cette notion de durabilité est un passeport vers des métiers d’avenir.
C’est dans ce contexte que, le 12 janvier dernier, a été officiellement lancée la Fédération européenne pour les Métiers du patrimoine bâti (FEMPB), en présence du nouveau ministre wallon du patrimoine Carlo Di Antonio. Cette association internationale, créée à l’initiative de l’Institut du Patrimoine wallon (Belgique) et de l’Ecole d’Avignon (France), rassemble 70 centres européens et s’inscrit dans les perspectives et la continuité des initiatives antérieures du Conseil de l’Europe et de son réseau européen des métiers du patrimoine visant à favoriser la transmission des progrès du savoir-faire. « Cette fédération va nous permettre de mutualiser les connaissances », se réjouit Anne- Françoise Cannella.
Le patrimoine, c’est l’avenir
Les missions du Centre de la Paix-Dieu englobent la sensibilisation, la formation et l’information aux métiers du patrimoine à destination d’un public particulièrement varié : des plus jeunes aux artisans les plus spécialisés. Convaincue que la sauvegarde du patrimoine passe par la sensibilisation des plus jeunes, Anne-Françoise Cannella accorde une attention particulière à la formation des jeunes. Et même des très jeunes. « Ces formations existaient, pour la plupart, avant mon arrivée, comme les Classes d’éveil aux métiers du patrimoine qui, en 2008, se sont vues décerner le Prix Europa Nostra (Fédération des associations européennes du patrimoine) récompensant des restaurations, des recherches ou des acteurs exemplaires de la conservation du patrimoine, trois catégories auxquelles s’ajoutait, pour la première fois cette année-là, une quatrième visant les initiatives exemplaires liées à la formation en patrimoine. Mais nous essayons en permanence de les étoffer et de les diversifier. Ainsi en va-t-il d’un nouveau programme court destiné à sensibiliser les enfants de primaire aux métiers du patrimoine. »
C’est dans cet esprit qu’Anne-Françoise Cannella a accepté de participer à l’initiative du Salon Bois & Habitat et son « Village des Artisans ». « Notre présence à cet événement était conditionné à la présence des autres acteurs majeurs du patrimoine et de la formation. Comme les Compagnons du Devoir, l’Union des Artisans du Patrimoine et le Centre de Formation Bois ont donné leur accord. Il n’y avait aucune raison que nous ne soyons pas présents. Car si le patrimoine est une bonne porte d’entrée vers les métiers de la construction, l’artisanat est une voie royale vers des métiers exceptionnels. Notamment dans le domaine du bois. Il s’agit d’un matériau qui est non seulement beau, mais également durable. Or, cette notion de durabilité constitue un passeport vers des métiers d’avenir. Qui plus est, on peut réaliser une multitude de choses avec le bois : bâtiments, mobilier, objets d’art, etc. Plus prosaïquement, nous avons un cruel besoin d’artisans capables de participer à des chantiers de restauration. Toute initiative susceptible de sensibiliser les jeunes (ou moins jeunes) à ces métiers est bonne à prendre. »