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Par Carole Depasse
Au XVIIIe siècle, Spa, ville aux eaux curatives, attire du « beau monde » en provenance de toute l’Europe. Empereurs, rois, nobles, gens de littérature, acteurs et aventuriers s’y pressent. La famille de Bourbon, en cure, a l’habitude de poser ses malles dans un hôtel
L’Hôtel Bourbon, bel édifice néoclassique, est bâti en 1774, premier âge d’or de la ville de Spa. Idéalement situé dans un quartier proche de la source d’eau, le Pouhon Pierre-le-Grand, l’Hôtel Bourbon s’emplit et se désemplit en fonction de l’arrivée des curistes. Rescapé d’un incendie qui s’est déclaré en 1807 et qui a ravagé de nombreux bâtiments du XVIIIe siècle, l’Hôtel Bourbon présente une façade sobre et symétrique en briques et calcaire. Trois niveaux de hauteur dégressive, un perron distingué, un balcon décoré d’un garde-corps en ferronnerie et de hautes ouvertures en façade avant. On imagine un intérieur baigné de lumière et d’une élégante fonctionnalité. On l’imagine car il ne reste rien de ce que cet intérieur fut à l’origine ; les cheminées disparues, l’escalier et les éléments mobiliers en chêne vendus par le précédent propriétaire.
Changement de locataires
Classé aux Monuments en 1985 (façade et toiture), l’Institut du Patrimoine wallon (IPW) achète l’Hôtel Bourbon en 2000, après une longue période d’inoccupation et de relatif abandon. Seules les caves de l’hôtel sont encore connues des Spadois pour y avoir abrité une boîte de nuit. « L’IPW monte alors un projet de réhabilitation en partenariat avec la société locale de logements sociaux, Logivesdre, et la Ville de Spa », précise Vanessa Krins, gestionnaire de projet à la Direction des missions immobilières de l’IPW. « Le bâtiment se prête à l’habitat : il est donc décidé de le revaloriser en six logements sociaux. Les travaux suivent une longue procédure de mise en route (désignation d’un auteur de projet : l’Atelier d’architecture Lejeune- Giovanelli, obtention du certificat de patrimoine et du permis d’urbanisme, octroi des subsides, attribution des marchés publics de travaux et cession du bien en emphytéose à Logisvesdre) avant de commencer en août 2009 et se terminer en juin 2012, date depuis laquelle l’hôtel, sauvé de la ruine, accueille ses nouveaux ‘voyageurs’. »
Voir et être vu
Des voyageurs certainement plus discrets que ne l’étaient les « Bobelins » du XVIIIe siècle, terme que les locaux avaient attribué aux curistes mondains étrangers et qui pourrait signifier « sots » ou « nigauds ». À moins que cela ne soit « bons buveurs » ? À la fin du XVIIIe siècle, Spa est, en effet, « le sein des plaisirs » comme l’écrit Casanova dans ses Mémoires. La ville, réputée pour les bienfaits de ses eaux tonifiantes, riches en fer et en sels minéraux, est aussi le « Café de l’Europe » où affluent les touristes. « (...) Les eaux ne sont qu’un prétexte pour la plupart. On n’y va que pour des affaires, des intrigues, jouer, faire l’amour et espionner (...) », raconte le libertin. La journée d’un curiste n’est, en effet, pas triste. Levé vers six heures du matin, il débute ses soins par boire, à jeun, l’eau minérale du Pouhon Pierre-le-Grand pour ensuite, en compagnie d’autres curistes, à pied ou à cheval, faire le tour des sources situées sur le haut de la ville, dans les bois. En fin de journée, imbibé d’eau ferrugineuse, il descend au Waux-Hall boire un chocolat avant de rendre visite à ses connaissances, logées comme lui dans les hôtels de la ville. Il est simple pour un curiste de les repérer puisqu’il existe, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, des « Listes des seigneurs et dames » qui enregistrent les noms, le jour d’arrivée et le lieu de résidence des visiteurs. Le soir, le curiste danse à la Redoute, casino du centreville ou va au concert. La vie culturelle est intense à Spa. Il faut amuser les têtes couronnées et les familles aristocratiques qui y séjournent un moment. Les affaires marchent bien : coiffeurs, marchands de tissus, tailleurs, chapeliers, aubergistes... Les commerces profitent de ce beau monde tout comme les malfrats, pour qui une telle concentration de richesses est une aubaine. « Spa est alors un point fort du développement en Principauté de Liège. La ville est d’ailleurs pavée tôt, les maisons sont numérotées et un relais de poste assure une bonne communication », précise Vanessa Krins.
La cité spadoise est le point de départ du thermalisme en Europe. Vers le milieu du XVIe siècle, la ville reçoit déjà des visiteurs étrangers, attirés par la renommée de ses « pouhons ». C’est à cette époque également que l’eau de Spa commence à être commercialisée et exportée en Europe.
Spa comme « spa »
La cité spadoise est le point de départ du thermalisme en Europe. Vers le milieu du XVIe siècle, la ville reçoit déjà des visiteurs étrangers, attirés par la renommée de ses « pouhons ». C’est à cette époque également que l’eau de Spa commence à être commercialisée et exportée en Europe. À l’origine, les curistes ingèrent essentiellement de grandes quantités d’eau des fontaines, la balnéo thérapie s’étant développée dans la seconde moitié du XIXe siècle (le nom de la ville Spa est devenu le nom générique du thermalisme dans plusieurs langues dont l’anglais). Dans cette seconde moitié du XIXe siècle, second âge d’or du thermalisme à Spa, la ville connaît un regain de succès mais n’a plus la même importance internationale. « Il s’agit principalement de bourgeois liégeois et verviétois qui viennent en villégiature. On boit encore les eaux mais on prend surtout des bains. La vie au grand air et les théories hygiénistes sont à la mode. Les infrastructures de villégiatures existent déjà ; on construit des thermes modernes sur le haut de Spa, un hippodrome, un aérodrome; des compétions sportives (et pas seulement de voitures) sont organisées ; le chemin de fer se développe… Spa revit. Le problème : Spa est dans une cuvette, elle est donc moins accessible et la météo n’y est pas exceptionnelle. Est-ce pour ces raisons qu’elle a été moins valorisée que des villes comme Vichy et Évian, en France ou Baden, en Allemagne ? » Spa reste cependant le berceau des villes d’eaux en Europe et, à ce titre (bien transnational en série), soumet sa candidature au titre de Patrimoine mondial de l’Unesco.
RENSEIGNEMENTS
Office du Tourisme de Spa
Rue du Marché, 1a
B-4900 Spa
+32 (0)87 79 53 53
info@spatourisme.be
www.spatourisme.be
LE LIVRE D’OR DE SPA
Il s’agit d’une oeuvre peinte par Antoine Fontaine, longue de 9 m et représentant dans un désordre chronologique 91 personnages venus aux eaux de Spa. Parmi les plus célèbres : Montaigne (1580), Henri III de France (1584), Descartes (1645), Charles II d’Angleterre (1664) ou Victor Hugo (1865).