- Dossier
Par Christian Sonon
Alors que la mise en place in vivo de cultures d’aliments au moyen de l’hydroponie était facilement réalisable sur le site de l’Exposition, l’exercice était beaucoup plus complexe en matière d’entomophagie. Une législation tendue pour les questions d’hygiène, des problèmes évidents dus à la présence d’insectes vivants dans l’enceinte de l’Expo… Bref, si nous ne verrons pas de vers de farine, de larves ou de sauterelles à Milano 2015, rien ne nous empêche de leur offrir une place dans nos assiettes…
PETIT À PETIT, L’ENTOMOPHAGIE FAIT SON NID
Green Kow, dont le siège est à Lasne, est la première entreprise européenne à commercialiser des produits alimentaires à base d’insectes. Ses pâtes à tartiner à la tomate et à la carotte contiennent entre 5 et 10% de vers à farine. Elles sont en vente dans les magasins bios.
Il y aurait, paraît-il, 2,5 milliards d’individus sur la planète terre qui ingurgitent des insectes. Sans surprise, les asiatiques constituent une grande partie d’entre eux. En Europe, où la population a pris l’habitude de brûler la viande par les deux bouts, les libellules ont encore de belles heures de vol en perspective. Quoique… Si les porcins et les bovins continuent à écraser le marché de la protéine, petit à petit, les insectes font leur entrée dans nos assiettes. Et pas seulement dans des restaurants asiatiques ou mexicains, où des vers sont fristouillés en cohortes avec de l’ail, de l’huile d’olive et un peu de sel. À Copenhague, un chef étoilé propose une mousse de larves de papillon, suivie d’une plongée dans un bouillon de grillons et, en guise de récompense pour ses téméraires clients, une glace à la cire d’abeille. De quoi donner des ailes à une autre étoile montante de la gastronomie, belge celle-là.
À Liernu, Sang-Hoon Degeimbre invite les insectes dans ses recettes de pâtes à tartiner à base de tomates ou de carottes. Il n’a cependant pas agi de son propre chef. C’est Damien Huysmans, qui travaille dans le milieu du marketing et de la communication, qui lui a proposé de se pencher sur ce petit monde méconnu chez nous, avec l’objectif de réintroduire les insectes dans l’alimentation occidentale.
« L’entomophagie peut être une solution à la démographie galopante », explique ce Bruxellois d’origine, qui a passé toute sa jeunesse en Brabant wallon. « Tout le monde, je pense, reconnaît aujourd’hui la valeur nutritionnelle des insectes grâce à leur apport en protéines, mais également en lipides. Leur impact environnemental est également nettement moindre que celui causé par le bétail qui dévore nos ressources naturelles. La production d’un kilo de viande nécessite au minimum quatre fois plus de céréales et est responsable du rejet de 10 à 100 fois plus de gaz à effet de serre que la production d’un kilo d’insectes. Sans compter qu’elle nécessite, durant toutes les étapes du cycle (arrosage des cultures, nettoyage des étables, etc.), plusieurs milliers de litres d’eau. »
Le feu vert de l’AFSCA
Autant de considérations qui ont poussé Damien Huysmans à créer Green Kow – au départ, il avait pensé à « Green Cow », qui signifie « vache verte » – en 2012. Immédiatement, il songe à s’associer à Sang-Hoon Degeimbre, jamais en retard quand il s’agit de donner une saveur d’avance aux produits du terroir, qui accepte de lui préparer plusieurs recettes de tapenades dont il confie la fabrication à un producteur agréé bruxellois. En octobre 2013, au lendemain de la vente de ses premiers petits pots en foire, l’Agence fédérale pour la Sécurité de la Chaîne alimentaire lui demande des explications. Très vite, cependant, le directeur général de l’époque, Gilbert Houins, lui donne le feu vert pour autant que son entreprise soit enregistrée à l’AFSCA et que les produits soient fabriqués dans des conditions sanitaires requises.
« Tout le monde, je pense, reconnaît aujourd’hui la valeur nutritionnelle des insectes grâce à leur apport en protéines, mais également en lipides. Leur impact environnemental est également nettement moindre que celui causé par le bétail. »
« C’est ainsi que Green Kow est devenue la première entreprise européenne à commercialiser des aliments à base d’insectes, explique son responsable. Je ne parle pas de ces plats préparés avec des insectes entiers importés d’Asie, ni des sucettes ou autres gadgets semblables, mais d’une véritable préparation d’aliments quotidiens. En fait, grâce au dynamisme de l’AFSCA, la Belgique est le premier pays occidental à autoriser officiellement la consommation d’insectes. »
Sur la liste des espèces d’insectes autorisés par l’AFSCA*, Daniel Huysmans a choisi le ver de farine pour se lancer à l’assaut du marché belge. Élevés aux Pays-Bas, ces vers arrivent congelés chez le fabricant qui les fait frire avant de les mixer avec les tomates ou les carottes. « J’ai opté pour les vers de farine, ou ténébrions, parce qu’ils sont très faciles à élever et réduisent donc notre prix de revient. Les produits sont ensuite distribués dans les magasins bios. Non pas qu’ils soient totalement bios – en fait, seuls les insectes ne le sont pas –, mais parce que la clientèle de ces magasins est la plus susceptible d’être intéressée par cette forme d’alimentation écologique. Par ailleurs, nous venons de développer, sous l’appellation ‘Green Bugs’, une version non bio des mêmes produits pour un grand distributeur belge. »
* À l’occasion d’un tour de table de la Commission européenne en 2001, l’AFSCA a établi une liste de dix espèces dont la mise sur le marché est tolérée à condition que les prescriptions relatives à la sécurité alimentaire soient respectées : le grillon domestique, le grillon à ailes courtes, le criquet migrateur africain, le criquet pèlerin d’Amérique, le ver de farine, le ver de farine géant, le ver Buff alo, la chenille de la fausse teigne, la chenille de la petite fausse teigne et la chenille du bombyx.
Dernier obstacle, les préjugés
Reste à convaincre le consommateur de franchir la barrière de la culture. Si certains croquent avec délectation ces vers et autres grillons entiers dans certains restaurants – après tout, les crevettes ne sont-elles pas des insectes marins ? –, la plupart n’accepte de tenter l’expérience que si ces bestioles sont réduites en mitraille, voire en poudre, comme, par exemple, dans les biscuits ou les pâtes. Une façon plus light de s’adonner à l’entomophagie.
Le plus curieux est que si les Européens se décident peu à peu à goûter aux insectes, les Asiatiques qui débarquent chez nous ne rêvent très souvent que d’un bon morceau de viande. « Les insectes, disent-ils, c’était au Moyen Âge ! ». Conclusion : l’Histoire repasse les mêmes plats, mais pas aux mêmes endroits !
LES GOFFARD SISTERS, LA MAIN À LA PÂTE !
Depuis janvier, Géraldine et Sophie Goffard ont entrepris la commercialisation, via des coopératives et des points de vente spécialisés, de pâtes fraîches à base de farine d’insectes. Un produit que les deux Liégeoises ont baptisé « Aldento » et qui a accaparé leur énergie pendant près de deux ans avant d’arriver à maturité. De la découverte des insectes comestibles comme alternative à la viande, à leur commercialisation en règle sous forme d’aliments, il y a en effet des obstacles que même une puce ne franchirait pas d’un seul bond.
« Il a d’abord fallu trouver un aliment ou une préparation dans laquelle la présence d’insectes ne choquerait pas le regard, explique Sophie. On s’est dit que les pâtes seraient la solution pour aider les consommateurs à dépasser les a priori, puisque l’on peut, en outre, les servir avec des légumes et une sauce. Pour les insectes, notre choix s’est porté sur les vers de farine. Nous avons trouvé une ferme biologique dans le sud de l’Espagne qui est devenue notre fournisseur. Ces vers sont transformés en poudre que nous intégrons dans la farine à raison de 10%. L’apport en protéines animales et en bonnes graisses Oméga 3 est ainsi assuré avec un bon plat de pâtes sans viande. »
Sortie du nid
Pour l’étude de faisabilité de leur projet et la création de leur entreprise, les deux soeurs ont été soutenues par Nest’Up, un accélérateur de start-up créé par Creative Wallonia, et qui les a accompagnées et coachées pendant onze semaines intensives dans un espace équipé à cet effet à Liège. Bien souvent, quand on veut se lancer dans pareille entreprise, ce sont les fonds qui manquent le plus. Les deux jeunes femmes ont alors eu l’idée de recourir au crowdfunding, un mode de financement assuré par des internautes séduits par le projet. Banco ! Alors qu’elles demandaient 11 000 €, Géraldine et Sophie ont obtenu 13 000 €. « Pour élaborer notre produit dans les conditions requises, nous avons bénéficié de l’aide d’un Chef namurois, Olivier Bourguignon, qui nous a permis d’utiliser son unité de fabrication. Mais ce n’était pas tout d’élaborer une recette ; encore fallait-il la faire valider et la soumettre à l’analyse d’un laboratoire afin d’en connaître les données nutritionnelles et la date limite de consommation. »
Un goût de noisettes ?
La phase « recherche et développement » terminée, les portes du marché pouvaient enfin s’ouvrir aux « Goffard Sisters », nom qu’elles ont donné à leur société. Les premières pâtes Aldento ont trouvé acquéreurs lors des marchés de Noël. Aujourd’hui, elles sont commercialisées dans des magasins spécialisés, comme la coopérative Ardente à Liège, le magasin « D’ici » à Naninne ou encore la ferme Nos Pilifs à Neder-Over-Heembeek. Mais la question qui est sur toutes les lèvres est celle de leur goût. « Certains leur trouvent un léger goût de noisettes, mais c’est assez difficile à définir. C’est un peu comme les pâtes intégrales ; ce qui est sûr, c’est qu’elles sont plus riches », précise Sophie qui souligne que leur objectif n’est pas de mettre la viande définitivement au frigo, mais de proposer une alternative pour en alléger la consommation.
LA CUISINE SAUVAGE, CELLE QUI VOUS ENVOIE PROMENER
Il n’y a pas que les orties et les pissenlits. 96 % de la flore de la planète sont comestibles. Cela signifie que si vous êtes perdu dans un bois et que vous tendez la main, il y a un maximum de chances que vous attrapiez quelque chose qui soit mangeable !
Cuisine Sauvage est une ASBL reconnue comme organisme d’Éducation à la Nature qui promeut l’utilisation des plantes sauvages comestibles dans l’alimentation. Si ses activités principales sont l’organisation d’ateliers de cuisine et de balades saisonnières ou à la carte dans les garde-manger naturels, la structure est en train de mettre en place, avec l’éclairage d’organismes scientifiques, comme Gembloux Agro Bio Tech, un site Internet qui constituera une compilation du savoir en la matière, une sorte de « Wikipedia » ou de « Marmiton » des plantes sauvages. À Milan, dans l’espoir de sensibiliser les visiteurs à cette alternative, un espace non négligeable du pavillon belge sera envahi par ces aliments « sauvages » qui ne demandent qu’à être domptés.
« Le lien avec le thème de l’Exposition universelle est évident », explique Lionel Raway, coordinateur de l’ASBL. « Pour tenter de résoudre les problèmes d’alimentation de demain, il y a les solutions technologiques, comme l’hydroponie ou l’aquaponie, il y a les insectes par le biais de l’entomophagie, mais il y a également la possibilité de diversifier nos sources alimentaires. Les aliments bios et l’agriculture urbaine sont deux exemples de nouvelles filières ; la cuisine à partir de plantes sauvages comestibles en est un autre », signale ce conseiller en environnement qui a fait ses armes à l’étang de Virelles, à Chimay.
Le mouron blanc, la benoîte, l’armoise…
Le site de l’ASBL fourmille de noms de plantes et de recettes qui sont mises à la disposition des internautes. Nul besoin de partir en expédition dans une réserve naturelle pour aller faire ses courses, l’aventure commence dans son propre jardin. Outre l’ortie et le pissenlit déjà évoqués, nous connaissons tous l’oseille, la pâquerette, la ronce, le sureau noir, le lierre terrestre… Le mouron blanc, qui a un goût de maïs cru, constitue une salade douce agréable à manger; les racines de la benoîte urbaine peuvent être infusées dans la crème fraîche ; les qualités aromatiques de l’armoise lui permettent d’entrer, avec les pois chiches et les gousses d’ail, dans la composition d’houmous, etc.
« Mais si la benoîte a la senteur du clou de girofle ou si l’épiaire goûte le champignon, la berce, par exemple, dont la tige peut constituer une bonne sauce pour accompagner un plat de pâtes aux moules, goûte… la berce ! C’est l’avantage que nous offre la nature : outre qu’elle met gratuitement à notre disposition des aliments sains, elle nous propose de nouvelles saveurs et contribue à la diversification de notre alimentation. Parmi nos clients nous avons des particuliers, des entreprises, des CPAS, mais également des traiteurs ou des chefs désireux de découvrir d’autres aliments et de développer de nouvelles recettes via nos ateliers. Nous ne disons pas qu’il ne faut manger que des plantes, mais qu’il convient de garder à l’esprit qu’il existe d’autres choix… »