- Culture
Par Gilles Bechet
©Mabamiro
Pôle musical pour le Brabant wallon et bien au-delà, la Ferme du Biéreau, à Louvain-la Neuve, vient de se doter de deux nouvelles salles et d’une cour entièrement réaménagée. Grâce à ces outils polyvalents et performants, la ferme conforte son statut singulier dans le paysage culturel francophone.
Depuis plus d’une quinzaine d’années, le lieu-dit du Biéreau, avec son ancienne ferme du XVIIIe siècle, dont les parties plus anciennes remontent au XIIe, est devenu le rendez-vous des amateurs de musiques en tous genres. Situé près du centre de la cité universitaire, le lieu accueillera son public, dès cet automne, avec deux nouvelles salles et une cour entièrement rénovée. Les deux projets développés de manière distincte ont été menés simultanément pour profiter d’évidentes synergies dans les travaux.
La cour, un espace pavé de 1200m2, était encore dans son jus originel. Sa rénovation était donc attendue. « C’est un lieu de passage, comme une place dans la ville. Nous voulons en faire un lieu accueillant, mais aussi carrossable et exploitable pour des événements », précise Gabriel Alloing, le directeur du lieu. Plutôt qu’un retour à l’ancienne avec ses pavés « casse-chevilles », la cour a opté pour une couverture contemporaine faite de septante plaques en acier corten découpées de silhouettes d’instruments de musique. Geste architectural, ces dalles sont aussi le support d’une opération de crowdfunding originale puisqu’elles peuvent être parrainées par des particuliers ou des entreprises. Chaque donateur, joliment baptisé « articulteur », a pu choisir l’instrument qui sera gravé sur la dalle et retrouvera son nom avec l’ensemble de tous les donateurs sur un panneau placé dans la cour. Les pavés historiques ne seront pas entièrement gommés puisqu’ils sont inclus dans le dessin d’un liseré qui encadre les dalles de métal.
Deux salles dans les anciennes écuries
Les écuries qui accueillaient déjà certains événements sont désormais équipées de deux salles. De plein pied, la salle des voussettes et, sous les toits, un deuxième espace plus intimiste rythmé par les impressionnantes charpentes du XVIIe siècle. Ces espaces polyvalents, accueillant respectivement 180 et 60 personnes, seront également mis à la disposition du public pour des événements, réceptions, concerts, spectacles ou soirées dansantes. « Cela répond à une vraie demande de la part d’opérateurs, privés, publics et parapublics ou de particuliers. » Les transformations conçues dès le départ avec la collaboration des équipes techniques ont permis de gagner de la place tout en améliorant le confort du public. Dans la salle du bas, sous les emblématiques voussettes de brique, les magnifiques mangeoires en pierre bleue seront toujours là, tout comme les râteliers qui dissimulent astucieusement les câblages.
Une campagne de crowdfunding
Les deux projets de rénovation ont été menés en partenariat avec la ville d et l’UCL, avec la participation de la Province du Brabant wallon et de la Région wallonne. Sur un budget total de 1,25 millions d’euros, la Ferme du Biéreau a participé à hauteur de 250.000 euros provenant de fonds propres et de la campagne de crowdfunding. Une capacité financière alimentée par la bonne gestion, mais surtout par la place singulière qu’occupe la Ferme du Biéreau dans le paysage culturel francophone. « Nous sommes reconnus en tant qu’opérateur culturel. Environ 45 % de notre chiffre d’affaire proviennent des subventions, alors que les 55 % restants sont alimentés en fonds propres par la billetterie, la location de salles, la marge sur la co-production de spectacles et le sponsoring. C’est un schéma d’économie mixte dans une dynamique de PME, mais avec des objectifs de service public et les subventions qui les accompagnent. »
Plutôt qu’un retour à l’ancienne avec ses pavés « casse-chevilles », la cour a opté pour une couverture contemporaine faite de septante plaques en acier corten découpées de silhouettes d’instruments de musique.
Egalement un lieu de coproduction
Si d’aucuns connaissent le Biéreau par ses concerts dans la grande grange, mis en valeur par dix années de partenariat avec « D6bels On Stage », le Biéreau c’est bien plus que ça. L’ancienne ferme cultive désormais sons, rythmes et mélodies sous toutes ses formes. En fonction du projet, elle se fait lieu de création, d’enregistrement de spectacle ou de diffusion. Dernière corde à son arc, la coproduction de spectacles musicaux. « Alors qu’ils sont une dizaine en Flandre, nous sommes le seul opérateur culturel francophone à développer ce type d’activité. » Parmi les créations les plus récentes, on notera NinaLisa, de Thomas Prédour, sur les relations entre Nina Simone et sa fille Lisa ou Pierre et le Loup, de Prokofiev, raconté par Alex Vizorek et illustré en direct par Karo Pauwels. « Nous ne travaillons bien évidemment pas tout seuls, nous agissons plutôt comme un producteur exécutif ou un producteur délégué le fait au cinéma. »
© Samuel Szepetiuk
Gabriel Alloing, le directeur du lieu.
Si Gabriel Alloing est né à Avignon, c’est à Louvain-la-Neuve qu’il est venu très jeune s’installer avec ses parents, portés par le vent d’utopie qui soufflait sur la cité universitaire. Dans la ville qu’il a vu grandir, il a suivi des études d’ingénieur civil tout en manifestant sa curiosité pour le théâtre, notamment avec les ateliers Son-Corps-Voix de Jean Mastin. Clin d’œil du destin, il avait déjà, à l’époque, investi les écuries de la Ferme du Biéreau pour une version expérimentale de Ruy Blas où il s’est retrouvé suspendu aux râteliers. Son diplôme en poche, il exerce son métier d’ingénieur pendant deux ans. Mais alors qu’il était en mission en Thaïlande, le virus du théâtre se rappelle à lui et il décide de rentrer en Belgique pour s’inscrire au Conservatoire royal de Liège dans la section comédien-concepteur. Très vite, son profil suscite l’intérêt et il reçoit plusieurs propositions pour diriger un centre culturel. Il les balaie toutes jusqu’à ce que, en 2008, on l’invite à s’occuper de la Ferme du Biéreau. « Ce projet venait à un moment intéressant dans mon parcours et surtout c’était un lieu où tout était à inventer. » Douze ans plus tard, il est toujours là, la tête pleine de projets. La routine et les rails, il déteste ça. « Tant qu’il y a de nouveaux défis à développer, ce sera pour moi ; si c’est pour ronronner, je passerai le flambeau. »
Boulimique du travail, il n’a pas pour autant abandonné les planches, se partageant entre le travail d’acteur, de metteur en scène ou d’auteur. « J’ai besoin de créer, ça me nourrit, si je ne faisais que du bureau, je ne serais pas heureux. » Il y voit aussi un complément indispensable à son action de gestion culturelle. « Pour pouvoir comprendre ce qu’est la réalité des artistes, il est toujours préférable d’en être un soi-même. »
Inauguration le 8 octobre
En développement permanent, la Ferme du Biéreau a encore d’autres partitions à écrire car la rénovation du site n’est pas totalement achevée. Gabriel Alloing rêve d’agrandir et d’ouvrir le foyer sur une centaine de mètres carrés de part et d’autre du parking. « C’est le premier espace que voient et traversent les gens quand ils arrivent, donc ce serait bien d’amener un geste architectural contemporain, qui ne dénature pas l’ensemble. » Reste encore le corps de logis et ses 800m2 qui devraient être rénovés quand les moyens seront disponibles. Son affectation est encore à préciser, mais ce devrait être un mix entre de l’Horeca, des espaces de stockage et de répétition.
Pour l’heure, rendez-vous le 8 octobre afin de découvrir les nouveaux espaces du Biéreau avec un mini-festival de quatre jours. Fidèle à ses principes, le programme est tout en éclectisme avec notamment les iconiques « Gangsters d’Amour », désormais menés par Philippe Résimont, et une sieste acoustique avec « La Crapaude », le quatuor polyphonique féminin qui réinterprète et dépoussière des chansons traditionnelles de Wallonie pour en faire vibrer toute la poésie et l’étrangeté.