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Par Carole Depasse
Sigoji
Élue meilleure chocolatière wallonne 2019 par Gault & Millau, Euphrasie Mbamba, de la chocolaterie Sigoji, à Ciney, est née au Cameroun, dans une marmite de fèves de cacao. Son chocolat, elle l’aime avant tout brut, puissant, gorgé de son terroir africain dont elle a gardé la mémoire sensorielle.
Grandpapa Mbamba aurait adoré raconter aux enfants de son village le conte vrai de sa petite fille Euphrasie partie loin travailler et vendre le chocolat issu des fèves de sa plantation de cacaoyers. C’est une belle histoire qui s’écoute comme une fable soufflée sous un cacaoyer à palabres. Quand il était jeune, Grandpapa Mbamba, cacaoculteur, éventrait les cabosses mûres pour les vider de ses graines de cacao gonflées de promesses gourmandes. Il avait pour ami le soleil du Cameroun qui couvrait de ses rayons chauds les fèves précieuses pour les sécher puis leur dorer la peau. Hypnotisée par le travail de son grand-père, Euphrasie le regardait, cachée derrière un mur fissuré, répéter les mêmes gestes amoureux, année après année. Quand elle le voyait charger de lourds sacs de jute sur sa bicyclette, Euphrasie savait que les fèves magiques, vendues sur le marché local, partaient pour une destination lointaine. Les années passèrent, Euphrasie grandit. Un jour, elle décida de se laisser enfermer dans un sac pour suivre les fèves dans leur voyage mystérieux. Arrivée à bon port, parfumée de senteurs de cacao, Euphrasie sortit la tête du sac. « Bienvenue ! dit alors le wallon Pays, te voilà chez toi à présent. Au travail, Euphrasie, tes fèves sont impatientes de nous révéler leurs secrets chocolatés. »
Éthiquement engagée
Au décès de son grand-père, Euphrasie hérite de 16 hectares de cacaoyers laissés à l’abandon. Traductrice, elle n’a rien à voir avec le métier de cacaoculteur. Cependant, le chocolat qui coule dans ses veines fait pression : Euphrasie reprend la plantation familiale et se donne pour objectif de produire du chocolat 100% Cameroun qui n’existe pas. « Personne n’a jamais montré aux cacaoculteurs camerounais comment travailler la fève pour qu’elle soit reconnue sur les marchés internationaux comme fève de premier ordre. Ma mission, à partir de ma plantation et aidée par trois ingénieurs africains, est d’être cet exemple », nous confie Euphrasie Mbamba qui créa en 2014 Sigoji, une chocolaterie où sont toujours livrées les fèves familiales.
Car une fève de qualité se mérite et un cacaoyer est capricieux et réclame humidité et soleil selon un savant dosage. « La règle, dans une plantation, est d’alterner cacaoyer et bananier lequel apporte l’ombrage voulu tout en laissant filtrer la lumière. Une plantation, c’est comme un être humain, si vous l’entretenez bien, elle donnera de bons fruits ». Euphrasie Mbamba surveille donc sa plantation de près en si rendant régulièrement. Une démarche dont la portée écologique, sociale et économique est essentielle. Le monde industriel du chocolat est loin d’être parfait et la question de la traçabilité du chocolat que nous consommons est plus que jamais à poser. L’artisane y répond en proposant du chocolat dont l’origine des fèves est connue (Cameroun et Madagascar), sans conservateurs, huiles végétale ou animale et colorants artificiels. Elle vend bien sûr ses produits dans ses deux boutiques, à Ciney et à Rochefort, mais exporte aussi au Maroc (Casablanca et Tanger), tout en étant ouverte à toute nouvelle demande d’exportation.
Un mélange de terroirs wallons et africains
Non seulement Euphrasie ne laisse rien au hasard – le nom de sa chocolaterie est l’évocation des deux prénoms de ses fils, Siméo et Ugo, mêlés à la chair sucrée et rouge de la baie de goji dont elle affectionne le goût –, mais elle bouillonne d’idées nouvelles. Faire connaître un terroir africain insolite en est une. Après le Cameroun et Madagascar, le chocolat du Congo est un projet qui prend doucement forme. Marier les fèves africaines avec des produits du terroir wallon en est une autre. « En matière de chocolat, on a voulu aller tellement loin, proposer des choses tellement originales qu’en finalité on a perdu le sens du bon et du simple. Etre simple, c’est pour moi travailler la pâte de cacao sans ajout ou avec des produits locaux sélectionnés pour leur qualité ».
La chocolaterie a mis à l’honneur des artisans en créant, pour les fêtes de fin d’année 2018, un coffret de pralines mélangeant les terroirs wallon et africain comme « La Mielleuse » avec des apiculteurs de Pessoux, « La Houblonnière » avec la bière de la Brasserie du Condroz à Sovet, « La Dinantaise » avec le café de Sorinnes et les spéculoos de Dinant ou « L’Arrangée » avec le rhum de la Distillerie du Dr. Clyde à Trois-Ponts. Un carton !
Pour 2019, Euphrasie, sollicitée par de nouveaux producteurs-artisans, réfléchit à la façon de renouveler sa gamme chocolatée. C’est encore un secret. En revanche, elle ouvre ses portes quand elle organise des visites pour les adultes et les enfants ; elle les invite alors à travailler la fève, le point de départ pour réaliser un chocolat d’excellence.
« Quand je suis dans mon atelier, je fais corps avec la fève et j’exprime ce que je ressens dans mes chocolats. Mes émotions sont contenues dans mes préparations et mes recettes ».
Make Life Tasty !
Au terme d’une sélection serrée, les dégustateurs anonymes de Gault&Millau ont élu Sigoji chocolaterie wallonne 2019 ! Pour l’excellence de ses produits, bien sûr, mais pas que... Si l’on en croit les confidences de Mark Declerck, CEO du célèbre guide gourmand, Sigoji « c’est aussi une belle histoire, celle d’une artisane fière de ses racines camerounaises, passionnée par son métier dont elle a une vision très cohérente. Dans un pays où les femmes ne peuvent pas toujours jouer les premiers violons, Gault&Millau est heureux de récompenser la chocolatière Euphrasie Mbamba pour son talent de chocolatière et entrepreneurial ».
Christophe Colomb n’appréciait pas le cacao
Le cacaoyer, originaire d’Amérique du Sud, fut exploité par les Mayas voici plus de 2.000 ans avant JC, puis par les Aztèques. Le cacao était une boisson sacrée, bue uniquement lors de sacrifices aux dieux, appelée xocoatl (xoco = amer et atl = eau) composée de fèves de cacao grillées et moulues, mélangées à de l’eau et à des épices relevées (piment, poivre, clou de girofle). Lorsque Christophe Colomb découvrit les Amériques (1492), il fut invité à boire du xocoatl. Il détesta ! Il fallut attendre le tristement célèbre conquistador Cortez pour que les ingrédients nécessaires à la fabrication du chocolat traversent l’océan jusqu’à la cour d’Espagne. Avec du sucre, le succès du chocolat fut foudroyant en Europe ! Pour répondre à la demande des consommateurs, les cacaoyers furent alors transplantés sur le continent africain, une terre hospitalière pour ces arbres sensibles.
Sigoji
Rue du Commerce 123
B-5590 Ciney
+32 (0) 83 65 57 50
Rue Jacquet 2
B-5580 Rochefort
+32 (0) 84 46 70 26