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Par Laurence Blairon
Imaginez une voiture qui se nettoie toute seule, un tapis de sol en glucose modelable et réutilisable à l’infini ou des panneaux solaires souples à dérouler sur un toit. Futuriste ? Pas pour les chercheurs de Materia Nova.
Tout a commencé en 1995 lorsque des professeurs de la Faculté polytechnique de Mons et de l’Université de Mons-Hainaut (UMONS) ont eu l’idée d’unir leurs expertises au sein d’un pôle d’excellence dédié aux matériaux innovants. « L’objectif était d’offrir aux laboratoires universitaires un pont vers l’industrie », explique Luc Langer, directeur de Materia Nova. Aujourd’hui, le centre de recherches peut s’enorgueillir d’une réputation internationale dans les domaines des traitements de surface, des bioplastiques, de la chimie verte et de l’électronique organique. « On vient de très loin pour établir des collaborations avec nous », observe le directeur.
Devenu une ASBL indépendante en 2000, Materia Nova a conservé un lien privilégié avec l’UMONS, ce qui lui permet de proposer à la fois de la recherche fondamentale et de la recherche appliquée. Chacun de ses départements est dirigé par un directeur scientifique qui est aussi un professeur d’université. « Comme chaque professeur a deux équipes (NDLR : une chez Materia Nova et une autre à l’université) et que celles-ci travaillent sur les mêmes thématiques, nous avons une force de frappe qui va au-delà de nos 87 employés et se monte à environ 250 chercheurs et techniciens. »
De la betterave dans le plastique
Cet effectif n’est pas de trop pour mener à bien les projets confiés à Materia Nova tant par le secteur privé (industrie) que par le secteur public (Union européenne en tête). On en aurait presque le tournis… Sous la houlette du professeur Philippe Dubois (numéro 18 et premier Belge sur la liste des 500 000 meilleurs scientifiques au monde de la dernière décennie dans les sciences des matériaux, selon Thomson Reuters), des chercheurs s’attachent à caractériser et à améliorer les plastiques qui peuplent notre quotidien. À l’aide d’équipements ultrasophistiqués et extrêmement coûteux, ils en développent aussi de nouveaux, appelés bioplastiques, qui sont issus de végétaux comme la betterave sucrière ou le lin, entièrement biodégradables et qui, cerise sur le gâteau, peuvent être produits à l’échelle industrielle grâce à des procédés de synthèse respectueux de l’environnement. Ces bioplastiques, dont certains sont déjà utilisés dans l’industrie automobile, le bâtiment et l’ameublement, ont des propriétés et des performances comparables aux plastiques issus de la pétrochimie. Certains sont même meilleurs. « Partout où il y a du plastique aujourd’hui, on peut imaginer des solutions durables à partir de polymères biosourcés », assure Luc Langer, selon lequel Materia Nova joue un rôle phare. Il raconte comment le centre de recherches a contribué au développement du PLA (acide polylactide), un bioplastique à base de glucose utilisé par la société Futerro (voir article) pour fabriquer, notamment, le tapis rouge du Festival international du film de Cannes. « On dirait du tissu, mais c’est du plastique. Après usage, le tapis peut être dépolymérisé. Il ne s’agit pas de le couper en petits morceaux pour le recycler. Mais bien de retrouver les unités monomères initiales pour fabriquer un tapis neuf. » Une opération qu’on peut répéter à l’infini.
Nanotechnologies, OLED et Cie
Materia Nova, ce sont aussi des solutions originales de traitement de surface pour améliorer la tenue à la corrosion des pièces métalliques utilisées aussi bien dans l’aérospatiale que dans l’électroménager. « Ces solutions sont basées sur les nanotechnologies. » L’idée est d’implanter dans les surfaces métalliques des nanoréservoirs (à l’échelle d’un millième du diamètre d’un cheveu !) pouvant libérer des particules qui aident le métal à cicatriser tout seul. Suivis de près par le prestigieux centre de recherche allemand Fraunhofer, ces travaux s’accompagnent de la mise au point d’un outil de monitoring pour diagnostiquer de façon précoce la corrosion des matériaux à des fins de sécurité. Dans le secret de leurs laboratoires, les chimistes de Materia Nova nous préparent encore la voiture autonettoyante. Enduite d’un revêtement spécial grâce à la technologie plasma, elle renverra le car-wash aux oubliettes. Quant aux chercheurs en électronique organique, ils imaginent des plafonds électroluminescents changeant de couleur selon notre humeur (avec les fameux OLED – diodes électroluminescentes organiques), ainsi que des cellules photovoltaïques non plus à base de semi-conducteurs rigides comme le silicium, mais de polymères souples et transparents pouvant être enroulés. « Il y a encore tant de défis ! », s’exclame Luc Langer.
La route du Japon
Pour les relever, Materia Nova n’a d’autre choix que de déployer ses ailes. Sa pérennité dépend, compte tenu de son obligation d’auto-financement de 50% minimum, de sa capacité à décrocher de nouveaux contrats. « Nos premières années d’existence ont surtout été axées sur des collaborations avec des entreprises wallonnes, relève M. Langer. Mon objectif est à présent l’internationalisation. » Le centre de recherche – qui compte deux sites en Hainaut (Mons et Ghislenghien) – peut déjà compter sur de solides partenariats avec des sociétés françaises, allemandes, britanniques, italiennes et portugaises. Mais il entend bien se faire connaître au-delà du pré carré européen.
Témoin de ses ambitions : la coopération avec le Japonais Asahi Glass Corporation (AGC), numéro un mondial du verre. Materia Nova s’est vu confier par AGC (à travers sa filiale belge Glaverbel) le développement de la nouvelle génération de doubles vitrages hyper-isolants. Grâce à un traitement de surface unique, ces vitrages seront deux fois plus performants que les triples vitrages actuels. Ils trouveront leur application dans les maisons passives où il est actuellement difficile d’intégrer de grandes surfaces vitrées en raison des déperditions de chaleur, mais aussi dans les grands projets immobiliers, où ils permettront de réaliser des économies de coûts et de matériau, tout en offrant plus de versatilité du fait de leur légèreté. Outre le Japon (où Materia Nova travaille aussi avec la société de négoce Sojitz dans le domaine des emballages alimentaires aux super-propriétés barrière), le centre de recherche prospecte en Russie, aux États-Unis et en Argentine. « On commence à être visible un peu partout », affirme son directeur.
Limiter l’impact écologique
Avec une dizaine de brevets internationaux en poche et un volume d’affaires de 8,2 millions € en 2011, Materia Nova reste fidèle à sa vision. Conscient de la responsabilité sociale qu’induit tout parcours d’innovation, le centre vient de mettre en place une cellule ACV (analyse de cycle de vie) afin d’examiner l’impact environnemental de ses recherches. Les résultats des analyses seront communiqués aux clients qui pourront ainsi décider en connaissance de cause de l’orientation des travaux. « Nous espérons à la fois sensibiliser nos partenaires industriels et développer un domaine d’expertise supplémentaire à leur intention. » Et si le directeur de Materia Nova ne fait pas mystère de son ambition de voir le centre de recherches devenir le partenaire R&D exclusif de quelques grands groupes industriels, il ne transige pas sur l’essentiel. « Les recherches pour le compte d’un client industriel sont toujours extrêmement centrées sur ses besoins à lui. Elles ne nous permettent pas de faire de la recherche de base pour acquérir de nouvelles compétences, explorer de nouvelles possibilités, reconnaît-t-il. Si nous voulons offrir des choses innovantes demain à nos clients et rester à la pointe au niveau scientifique, un juste équilibre entre clients privés et publics est nécessaire. » ■
Bio Express
Luc Langer, ingénieur civil en sciences des matériaux et docteur en sciences appliquées de l’Université catholique de Louvain. Détenteur d’une maîtrise en gestion et finance de l’Université libre de Bruxelles.
•• 1991-1995 → Assistant de recherche à l’Université catholique de Louvain. •• 1995-2000 → Manager « Recherche et Développement », puis directeur technique du groupe COIL, leader mondial de l’anodisation d’aluminium en continu.
•• Depuis 2004 → Fondateur et gérant de la société belge Nanoxid, spécialisée dans le développement de revêtements basés sur les nanotechnologies.
•• Depuis 2009 → Directeur général de Materia Nova.
Informations :
Avenue Copernic, 1B-7000 Mons
Tel. : +32 (0)65 55 49 02
www.materia-nova.com