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© Raphaël Charles

Raphaël Charles,
un designer
libre et heureux

  • Dossier

Par Admon Wajnblum

Le bois séduit aujourd’hui de plus en plus de designers comme en atteste le succès du concours Design & Bois organisé par l’asbl Bois & Habitat entre 2004 et 2010. Cette année, à l’occasion de la 14e édition du Salon Bois & Habitat, pas de concours mais une grande exposition entièrement consacrée au design bois. Organisée en partenariat avec le magazine Déco Idées, cette exposition réunissant des oeuvres de designers confirmés permettra de montrer au grand public que le bois rime parfaitement avec modernité et design sous l’influence de créateurs qui n’ont pas peur de travailler le bois dans une optique contemporaine. Parmi eux, Raphaël Charles, un jeune designer de 33 ans, dont le nom commence à résonner familièrement aux oreilles des amateurs. Ce n’est que justice.

à première vue, on dirait un tas de planches grossièrement empilées… Jusqu’à ce que, par la grâce d’un astucieux dispositif de charnières, des tiroirs sortent de cet amas de bois a priori informe qui se transforme alors en meuble. « Jamais une idée ne m’est venue aussi facilement. J’étais chez mon marchand de bois quand j’ai vu ce tas de bois. Le meuble était là !, sourit Raphaël Charles. Après, il y a quand même un peu de travail. Environ un mois de fabrication et deux de plus pour le développement et les mises au point ». C’est ce buffet, baptisé « Ordinary day in a wood factory », qui sera exposé à l’occasion du Salon Bois & Habitat, du 23 au 26 mars prochain.

Ce meuble illustre bien la manière décomplexée de travailler et de penser de Raphaël Charles. « Cette création est un trait d’humour, un clin d’oeil. L’idée générale, c’est de prendre du plaisir et, surtout, de ne pas se prendre au sérieux. » Une philosophie peutêtre facilitée par le fait qu’il n’existe pas de véritable culture « design » en Belgique francophone. « Ça implique de devoir se battre pour exister, mais ça permet également de ne pas être écrasé par le poids d’une certaine tradition. Dans la manière dont j’aborde mon travail, je suis totalement libre de faire ce je veux. C’est pour quoi toutes mes créations sont différentes. » C’est peu dire : corbeilles à papier en feutre (Just a bag), miroirs orientables en acier (M64), vases fabriqués à partir de pellicules de films 35mm (Les Cheminées), bagues en argent trempé dans de la résine (Drop Ring), luminaires en aluminium anodisé (Stars), poufs en polyester qui épousent la forme de 33 tours (33T project), etc. Toutes les formes, tous les matériaux, tous les usages y passent sans qu’on parvienne à y trouver un fil conducteur, hormis une imagination débridée, un certain sens du contrepied et le plaisir de créer.

Né sous une bonne étoile

Raphaël Charles ne se destinait même pas à une carrière de designer. « J’ai sérieusement hésité, mais au moment de choisir mes études, j’ai finalement opté pour l’architecture d’intérieur. Pour être honnête, c’était le choix de la prudence. Le design, c’était l’aventure, alors qu’une formation d’architecte d’intérieur devait au moins me permettre de manger… Au bout du compte, j’ai fait exactement l’inverse puisque, si j’ai bien terminé mes études, je n’ai jamais exercé comme architecte d’intérieur. » Sans regrets, visiblement. « Le design offrait l’immense avantage de pouvoir garder un contact avec la matière. Or, on ne peut mesurer le potentiel d’un matériau qu’en le maniant. Ce que l’architecture d’intérieur ne permettait pas ou beaucoup moins. D’autre part, le design a ceci de séduisant qu’on peut vivre dans l’immédiateté. J’’ai une idée, une envie et je la réalise. En architecture d’intérieur, on travaille pour un client et on doit se plier à ses désirs… »

Une fois sorti de Saint-Luc Tournai, Raphaël Charles gamberge pendant deux ans, puis finit par se lancer. En 2007, il participe aux Dynamo Belgian Young Design Awards, une vitrine de la créativité, du savoir-faire et du potentiel de la nouvelle génération des designers belges. L’année suivante, il fait partie d’une sélection de cinq jeunes designers pour Designed in Brussels. Il se fait remarquer une première fois en 2008 lorsqu’une de ses créations obtient le Prix Vitra dans la catégorie « Living » à la Biennale Intérieur de Courtrai. Ce tapis baptisé 20/30 fait référence à un calibre de charbon – normal pour un Carolo d’origine, émigré depuis à Bruxelles – et obtient également une Mention spéciale au Design Report Award de Milan, en 2009. Il fait aujourd’hui partie de la collection du Grand Hornu. Cette double première distinction à l’occasion d’événements de portée internationale constitue un sacré adoubement en même temps qu’une jolie carte de visite… Raphaël Charles récidive en 2010 avec sa table Multiple. Celle-ci est constituée d’un ensemble d’éléments répétitifs en hêtre massif, lovés les uns aux autres par un système magnétique, qui permet de composer et décomposer la table à l’infini. Une création qui obtient une Mention spéciale du jury au Concours Design & Bois à l’occasion du Salon Bois & Habitat 2010 ainsi que le prix Design Vlaanderen a la Biennale Intérieur 2011 de Courtrai et, très récemment, un label Henry Van De Velde. Ce n’est qu’un début. Surfant sur la vague, et en pleine période de crise institutionnelle, Raphaël Charles décide de décliner Multiple en grand. Pour l’occasion, il donne à sa table la forme de la Belgique. Pas moins de 700 « rondins » sont utilisés à cette fin. L’ensemble est destiné à être exposé à l’occasion de Design September. Il ne le sera jamais puisque cette table fera finalement partie de la collection privée du prince Philippe !

La Belgique se met au design

Si Raphaël Charles peut désormais espérer vivre de son travail, il n’en confesse pas moins que la vie d’un designer en Belgique est loin de s’apparenter à un long fleuve tranquille. « Il faut se bouger, se faire voir, aller à Milan, Paris, Londres… Sinon, on est condamné à la confidentialité. » D’autant que ce ne sont pas les designers de talent qui manquent au pays. Pour vivre de son art en Belgique, un designer a deux possiblités. Soit il vend son idée à une maison d’édition, soit il vit des royalties. Mais dans ce cas, il faut se faire éditer par une maison importante qui vend beaucoup. Sans quoi les royalties ne lui permettront pas de vivre. Or, en Belgique, les éditeurs ne courent pas les rues et il s’agit le plus souvent de petites structures. « Et puis, comme dans bien d’autres domaines culturels, un designer belge, pour être reconnu dans son pays, doit d’abord s’être bâti une petite notoriété à l’étranger. » Raphaël Charles a eu cette chance. D’ailleurs, son meuble Ordinary day in a wood factory pourrait bientôt être édité par une nouvelle maison d’édition italienne. « Les choses sont toutefois en train de changer. Après la Flandre, les régions wallonne et bruxelloise semblent désormais vibrer pour le design. Il y a de plus en plus d’expositions, d’articles dans la presse et d’intérêt de la part du grand public. » Wallonie Design, Designed in Brussels, Design Vlaanderen, Modo (pour tout ce qui concerne le stylisme), Wallonie- Bruxelles Design Mode, etc. autant d’initiatives en matière d’aide à la création et au design en particulier qui devraient permettre à nos designers de se faire connaître. « C’est heureux car, si je voyage beaucoup entre Paris, Londres et Milan, je trouve au pays tout ce dont j’ai besoin. »

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