- La Route de la Bière
Par Alain Voisot
Après son « wine man show » Ni Dieux Ni maîtres, mais du rouge, le sommelier a décidé de pousser le bouchon un peu plus loin et de s’attaquer à un monument national belge. C’est sûr, son spectacle « L’âge de la bière » va joyeusement vandaliser la boutique cossue et tranquille de nos certitudes convenues.
Totalement inconnu au bataillon des conformistes, absent des listes des formatés aux normes de la raison raisonnable, Eric Boschman intrigue, agace, charme et bouscule la bonne vieille dame « Belgique » qui déteste que l’on se mouche dans ses napperons en dentelle de Bruges.
Ce touche-à-tout jongle avec les artifices de la communication et occupe une place médiatique bien à part. Après avoir été sacré meilleur sommelier de Belgique en 1988, signé et cosigné une belle collection d’ouvrages centrés sur la cuisine, le vin et autres délicatesses, le voilà passé de la télévision à la scène avec son spectacle Ni Dieux Ni maîtres, mais du rouge. Il récidive cette fois en s’attaquant au monument national belge : la bière. Ce crime culturel, cette provoc, cette trahison va forcément entrer en collision frontale avec l’armée des inconditionnels de la boisson nationale. Il va y aborder, au bulldozer, les clichés sur chaque étape de la création de la bière, les rituels compassés de la dégustation, la forme des verres, les bières d’étiquette, le marketing plus que basique… Bref, les hommes ne sauront plus pourquoi il faut en boire encore. Le tout sera passé sous l’anesthésie de la convivialité à la « belge » et de l’humour décalé qui fait la signature Boschman.
Feu sur le quartier général !
Imprévisible dans sa stratégie basée sur l’improvisation et l’anecdote anodine, Eric Boschman pose des mines partout. Il suffit d’aller rôder autour de son site pour y trouver quelques citations éloquentes qui donnent le ton de l’offensive et le plan d’attaque : « La bière belge existe-t-elle vraiment ? Oui, je sais, elle est reconnue au patrimoine mondial tagada-tsouin-tsouin, mais qu’est-ce qui la rend vraiment belge cette moussue ? Rien, si ce n’est un savoir-faire qui n’est pas souvent un faire-savoir. Quand les principaux pays producteurs en dehors de notre royaume font du « belgian style », ils tentent de reproduire un modèle, une recette, mais trouvent-ils forcément l’âme, le cœur du produit ? La réponse est plus que souvent « oui », même si nous pouvons nous draper dans notre dignité d’un air outré et signifier à la valetaille mondiale que c’est de l’imitation, il arrive régulièrement qu’elle soit plus précise que bien des productions locales. »
« L’âge de la bière »
Tel est le titre mobilisateur de ce spectacle encore en gestation. On imagine Eric Boschman sur scène, traversant la mitraille pour sonner la charge, sabre au clair. De quel côté sera-t-il sur le champ de bataille belgo-belge ? Jemappe, Fleurus ou Waterloo ? Ce qui est sûr c'est que les mouvements de la cavalerie seront suivis d’une offensive générale baïonnette au canon. L'objectif est clair. Pour notre sommelier, qui a sans doute dû lire l’avenir dans la marre des brassins, les errances du marketing ont éloigné les brasseurs de leurs racines. Revenons donc aux fondamentaux de l’art brassicole. Retournons à l’âge de la bière, chassons le spectre de cette régression fatale et provoquons le sursaut créatif.
Ce spectacle d’une heure trente sera agrémenté par le service de trois bières : une gueuze, une triple et une saison pour être sûr de ne pas perdre pied durant ce déboulonnage en règle. Eric Boschman va tourner en Wallonie et à Bruxelles et il peut frapper n’importe où. Restez vigilant. Et n’y allez pas seul, on ne sait jamais ! Le diable d'homme pourrait invoquer les foudres de Gambrinus pour provoquer un sursaut vivifiant.
La «Finest Craft Beer Selection »,by John Martin
Cette métaphore guerrière sur les préparatifs de l’offensive Boschman nous conduit évidemment à Waterloo, grande référence dans toutes les académies de stratégie militaire. De retour sur les pas de Wellington, un Britannique nommé John Martin, né en 1886 à Newmarket dans le Suffolk, s’installe à Anvers, en 1909 pour y faire de la bière en créant la synthèse unique de la tradition anglaise, du savoir-faire belge avec une certaine audace. Et il en fallait si l’on se rappelle qu’à cette époque, presque chaque village de Belgique avait sa vraie brasserie. Le catalogue s’élargit avec le lancement du Schweppes Indian Tonic en 1910. En 1912, cet Anglais devient l’importateur officiel de Guinness en Belgique puis s’installe à Genval dans les années 30. Après avoir traversé les avatars des grandes guerres, la maison John Martin crée, en 1949, la Bulldog Pale Ale qui, plus tard, deviendra la célèbre Martin’s Pale Ale. En 2004, Anthony Martin, petit-fils du fondateur, devient CEO du groupe John Martin. Edward Martin, fils d’Anthony est brasseur et Jonathan son frère, entre dans la gestion commerciale de l’entreprise.
La Brasserie Timmermans
Voilà pour la famille. Et les brasseries ? vous demandez-vous. La première est membre depuis 1993, de la « Finest Craft Beer Selection » d’Anthony Martin. C’est la Brasserie Timmermans, que l’on a « gardée dans son jus » afin de préserver son authenticité et son « savoir-faire », tout en bénéficiant de la dynamique du groupe « Martin’s Finest Beers Selection ». Cette bière est l’héritière d’une tradition familiale vieille de plus de 300 ans, puisque c’est en 1702 que les Timmermans brassent à Itterbeek (Dilbeek), à quelques kilomètres du centre de Bruxelles, une Gueuze Lambic. À l’époque, la brasserie était connue sous le nom de « Brasserie de la Taupe ».
Autre fleuron de la « Finest Craft Beer Selection » : la Brasserie Bourgogne des Flandres qui, après presque 60 ans, est revenue dans le centre de Bruges avec sa propre installation de brasserie.
Waterloo, Waterloo !
Dernière arrivée dans le giron d’Anthony Martin, la Brasserie Waterloo. Cette microbrasserie est installée dans les bâtiments historiques de la Ferme de Mont-Saint-Jean qui fut l’hôpital de première ligne de l’armée britannique durant la bataille. Dans ces murs ont été installées les techniques de brassage les plus récentes permettant des brassins de dix hectolitres. Sa cuve d’ébullition à fond variable permet de moduler le volume des produits traités. Grâce à deux boilers, le système d’alimentation continue en eau chaude permet de faire fonctionner le brassage sans interruption. Cette technologie permet de respecter toutes les étapes depuis la conception jusqu’à la maturation, pour entamer enfin la fermentation dans les meilleures conditions. Sous la supervision du maître brasseur Willem Van Herreweghen, une équipe de jeunes brasseurs (Thomas Vandelanotte, Edward Martin, Kloris Devillé et Bram Van Wesemael) est appelée à prendre en main la destinée de la gamme des bières de Waterloo et se sont donné pour mission de gagner la bataille de la qualité servie par les dernières mises au point de la technologie brassicole.
Une armée de bières
La gamme Waterloo se compose de bières de haute fermentation.
• La Waterloo Strong Dark est une belle brune sombre. Titrée à 8 % d’alcool, elle rend des notes aromatiques de café et évoque une charge de hussards au galop. Sa saveur se développe ensuite progressivement comme un véritable plan stratégique au moment décisif de la bataille. En finale, on y trouve le moelleux d’une note liquoreuse signant l’ivresse de la victoire sans triomphalisme.
• La Waterloo Récolte est une véritable bière de ferme à base de froment. Elle gagne les papilles avec l’esprit d’un véritable éclaireur. Elle demande une approche attentive, révélant un relief favorable à différentes observations. Elle prend par surprise l’avant-garde des malts et du froment de la morne plaine. Mais ce n’est qu’une diversion pour protéger un fond d’amertume.
• La Waterloo Triple Blonde est l’autre produit phare de la brasserie, avec la Waterloo Strong Dark. Comme les deux précitées, elle est disponible toute l’année. Elle est à la fois simple et complexe. Simple grâce une approche aisée libérant un zeste sucré très vite couvert par une amertume modulée. Complexe car avec ses 8 % d’alcool, elle rend à la matière première toute la reconnaissance qui lui est due. Elle détonne un peu comme un feu roulant d’artillerie intense. La précision balistique permet d’atteindre l’amertume de ses houblons et la souplesse de ses malts.
• La Waterloo Récolte Hiver est disponible en fin d’année uniquement. Cette bière de ferme est un véritable produit du terroir. Fraîche et racée, cette brune est légère et houblonnée. Le sucre brun et le malt torréfié lui confèrent une robe foncée et une note caramélisée très agréable en final.
• La Waterloo Strong Kriek ferme la marche. Garde à vous ! Ici, le maître-brasseur a élaboré une recette parfaite située entre une bière de haute fermentation et un authentique lambic à la cerise. Repos !